Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/48

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empêché par le tumulte des camps, mais encore le sentiment de l’ambition fut entièrement dénaturé dans les âmes fortes. Excité, mais non développé, il se restreignit dans son essor en ne rencontrant que des objets vains et puérils. L’homme qui était tout dans l’État avait arrangé les choses de telle façon que les plus grands hommes furent réduits à des ambitions d’enfant. Là où il n’y avait qu’un maître pour disposer de tout, il n’y avait pas d’autre manière de parvenir que de complaire au maître, et le maître ne reconnaissait qu’un seul mérite, celui de l’obéissance aveugle ; cette loi de fer eut le pouvoir, propre à tous les despotismes, de retenir la nation dans une perpétuelle enfance ; quand le despotisme croula irrévocablement en France, les hommes eurent quelque peine à perdre cette habitude d’asservissement qui avait effacé et confondu tous les caractères politiques dans une seule physionomie. Mais, rapidement éclairés sur leurs intérêts, ils eurent bientôt compris qu’il ne s’agissait plus d’être élevé par le maître, mais d’être choisi par la nation ; que, sous un gouvernement représentatif, il ne suffisait plus d’être aveugle et ponctuel dans l’exercice de la force brutale pour arriver à faire de l’arbitraire en sous-ordre, mais qu’il fallait chercher désormais sa force dans son intelligence, pour être élevé par le vote libre et populaire à la puissance et à la gloire de la tribune. À mesure que la monarchie, en s’ébranlant, vit ses faveurs perdre de leur prix, à mesure que la véritable puissance politique vint s’asseoir sur les bancs de l’opposition, la culture de l’esprit, l’élude de la dialectique, le développement de la pensée devint le seul moyen de réaliser des ambitions désormais plus vastes et plus nobles.