Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/58

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vait songé à voir au fond de deux récits très-simples un plaidoyer passionné contre les lois sociales. Avec Lélia tout a changé de face. Et pourtant il semble que les choses auraient dû prendre un tout autre cours. N’est-ce pas en effet un singulier avocat que celui qui, voulant donner gain de cause à l’enthousiasme irréfléchi contre la réalité positive, prend à partie l’enthousiasme lui-même, le discute, le décompose, l’interroge obstinément pour lui faire avouer sa folie ? N’est-ce pas un étrange plaidoyer que celui qui, voulant prouver que l’entraînement et la passion dominent de toute la tête la résignation et le devoir, met le doute au-dessus de l’entraînement, la négation au-dessus de l’espérance ? Qu’il y ait dans le monde où nous vivons des âmes assez riches en expansions et en dévouements pour ne pas se désabuser au premier coup, des cœurs assez magnifiquement dotés pour ne pas prononcer à la première déception l’anathème de la vieillesse et de l’impuissance, l’auteur ne le nie pas. Qu’il se rencontre parmi les femmes de France des caractères assez heureux ou assez aveugles pour puise» dans chaque nouveau désabusement. dans chaque nouvelle trahison, une crédulité plus confiante et plus enfantine, l’auteur ne croit pas que ce soit une question. Mais la poésie ne peut-elle franchir les limites de ces félicités paisibles et de ces crédulités persévérantes ? N’a-t-elle pas le droit de prendre pour sujet de ses études les exceptions douloureuses qui passent du désabusement au désespoir, du désespoir au doute, du doute à l’ironie, de l’ironie à la pitié, et de la pitié à la résignation sereine et impassible, au dédain religieux et grave de tout ce qui n’est pas Dieu ou la Pensée.