— L’Allemand n’est pas content de certaines parties de l’exécution, me répondit le cosmopolite, et il s’en prend au décor. C’est bien de l’indulgence ou de la retenue de sa part. Quant au bourgeois, il va à l’Opéra pour voir le spectacle, et il écoute la musique avec les yeux.
— Eh bien ! pour ne parler que du spectacle, repris-je, que vous en semble ? Vous qui avez vu représenter ce chef-d’œuvre sur les premières scènes de l’Europe, trouvez-vous qu’il soit mal monté (comme on dit) sur la nôtre ?
— Je ne suis pas du tout mécontent de ce sabbat, répondit-il, quoique j’y trouve trop peu de diablerie. Les apparitions du premier plan sont trop négligées, trop rares, et ne sont pas combinées à point avec les paroles du drame et avec l’intention du compositeur. Je n’ai pas vu le sanglier dont le rugissement sauvage est si bien exprimé dans la musique. S’il a passé, c’est si vite, que je ne l’ai point aperçu. À la place de l’apparition d’Agathe, je n’ai vu qu’un revenant quelconque. Ces squelettes et ces lutins sont beaucoup plus laids qu’il ne faut, et ne produisent pas du tout l’effet que produisent en Allemagne les chiens et les oiseaux innombrables qui s’élancent sur la scène. Les aboiements et le bruit des ailes sont pourtant indiqués dans l’orchestre, et c’est traiter un peu lestement la pensée de Weber que de lui retirer ses manifestations nécessaires. Voilà de quoi l’Allemand se plaint, et il a raison. Mais, ce qui pour moi fait compensation, c’est la beauté de ce paysage, la profondeur de ces toiles, la transparence de ces brouillards, ce je ne sais quoi d’artiste, de poétique et d’élevé qui préside à la composition du tableau. Sur aucune autre scène, on n’aurait mis autant de goût et d’intelligence à peindre le site en lui-même. Cette cascade dont le bruit sec et froid vous pénètre et vous glace, ces rideaux de brume qui s’éclaircissent et s’épaississent tour à tour, cela est vu et senti grandement