Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/12

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dehors que cette portion de la population paisible, par tempérament, qui laisse faire, accepte tout en doutant de tout, et regarde passer l’histoire sans y prendre part. Paris était dépavé dans tous les sens. On eût dit qu’un léger tremblement de terre avait ondulé sa surface. Les voitures circulaient avec peine. Il y avait une grève générale de force majeure, où personne ne protestait en particulier contre l’inaction apparente de tous. La circulation des passants et des véhicules de toutes les classes s’est rétablie avec une rapidité surprenante. Si beaucoup de grands personnages ont pris la fuite ou supprimé leurs équipages de luxe, l’œil ne s’en aperçoit guère, et on a beau se dire que, pour le moment, cette panique est désastreuse et coupable, il est difficile d’y songer, tant on a de choses intéressantes sous les yeux et d’émotions nouvelles dans le cœur.

Pourtant la bourgeoisie, dite conservatrice, s’alarme ou s’indigne de ce qu’elle voit. « Que font tous ces paresseux sur le pavé de la ville ? dit-elle, à voix basse, en entr’ouvrant sa croisée avec précaution. Il leur sied bien de se promener nuit et jour en agitant des drapeaux et des torches, en chantant la Marseillaise et en faisant toutes ces manifestations puériles, au lieu de travailler pour avoir du pain ! Il n’y a plus moyen de faire la sieste et de digérer en paix. Les pétards et les coups de fusil nous éveillent en sursaut. À chaque instant, on croit que l’émeute envahit le quartier. C’est le tambour qui bat, ce sont les crieurs qui promènent les journaux, ce sont les enfants qui