Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/139

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Quand je rejoignis la queue du défilé, c’était au milieu du pont de la Concorde, et je trouvai la garde mobile rangée sur les deux parapets, en bon ordre, mais laissant passer les curieux derrière elle sur le trottoir, et la manifestation devant elle sur le milieu du pont. On m’apprit qu’un coup de fusil était parti par accident, et que cela avait manqué amener du grabuge, mais qu’on s’était expliqué et que personne ne s’opposait au passage du peuple.

Cela me fit plaisir, je t’assure, et je m’imaginai que tout allait se passer comme au 17 mars. Cela s’annonçait encore mieux, car il n’y avait personne de vexé. La mobile faisait plaisir à voir. Il paraît qu’on lui avait donné l’ordre de mettre les baïonnettes dans le fourreau, et ces pauvres enfants étaient si contents d’obéir, qu’ils mettaient les baguettes dans le canon des fusils et les faisaient sonner bien fort pour nous prouver qu’ils n’étaient pas chargés. Il y avait auprès de moi un monsieur qui disait à un autre :

— Voilà des enfants qu’il faudra envoyer à la guerre et ne pas laisser dans Paris.

— Je crois bien, que je lui dis, que vous voudriez les faire tuer pour leur apprendre à ne pas vouloir nous tuer.

Et, là-dessus, je vis Coquelet qui était derrière ces bourgeois et qui les avait entendus aussi, et il était en colère, car tu le connais ; les yeux lui devenaient rouges, et il me dit :

— Vois-tu ces messieurs, ils voudraient que nos enfants tirent sur nous, et ils sont capables de les traiter