Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/14

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tire pas tous les respects, tous les hommages d’une nation qui s’appelle la France !

Honnêtes bourgeois que vous êtes ! vous ne savez donc pas, vous, ce que signifie ce mot, la France ? Vous avez donc oublié que depuis vingt siècles, le nom de cette nation a été dans le monde entier le synonyme d’honneur et de courage ? Vous ignorez donc qu’on dit à l’étranger : Brave comme un Français ? Vous n’avez donc pas vu en juillet et en février des femmes et des enfants de Paris aller au-devant de la mitraille la poitrine nue et les mains vides ? Non, sans doute, vous n’avez pas vu cela, vous vous cachiez, vous aviez peur !

Ô poltronnerie ! fantôme honteux et ridicule, laideur grotesque et méprisée, que viens-tu faire parmi nous, au moment où l’héroïsme des peuples proclame la liberté du monde ! La malice de notre nation croyait t’avoir reléguée sur les trétaux, et il n’était pas un enfant de nos faubourgs qui ne se crût en droit de rire de ton masque blême et contracté. Mais te voilà, tu existes, tu n’es pas une fiction, un type de la comédie burlesque ; tu t’approches en tremblant, tu regardes d’un œil effaré passer nos fêtes civiques, et, quand on te demande d’où tu sors et qui tu es, tu réponds : « Je sors du régime auguste et salutaire de la paix à tout prix ; vous me connaissez bien : c’est moi qui craignais toujours la guerre, l’insurrection, le mouvement, le progrès : c’est moi qui m’opposais à tout ce que voulait le pays ; je suis celui qui proteste toujours, celui qui tremble toujours. Je suis celui qui a peur. »