Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/157

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vite. Ce matin, à force de jouer ensemble, les enfants et le chien s’étaient tous endormis au pied d’un saule, les uns roulés sur les autres. C’était trop joli à voir, et j’aurais voulu que tu sois là. Alors, comme j’étais fatiguée et qu’il commençait à faire bien chaud, j’ai tordu mon linge, et je me suis assise à côté d’eux, pour les empêcher d’être piqués par quelque bête et pour les regarder.

Il y avait, dans la campagne, un silence comme si on avait été à cent mille lieues dans un désert. On n’entendait que les cricris dans le foin et la caille dans les jeunes blés, mais bien loin, bien loin. Le moulin était arrêté et le rossignol dormait aussi, je pense. Quelquefois un petit poisson sautait sur l’eau pour gober une mouche, et je crois que les mouches se retenaient de bourdonner pour n’être pas surprises par ces vilains goujons qui leur faisaient la chasse en traîtres. Alors je me suis mise à penser à cette tranquillité de la campagne qui a l’air de se moquer de tout, et de défier les humains de la troubler avec leurs sottes querelles. Cela m’a rendue bien triste. Je me rappelais le temps où, moi aussi, petite fille des champs, j’étais aussi indifférente, aussi tranquille que les petites fleurs qui regardent le soleil ; le temps où je ne pensais à rien du tout, et où je n’avais besoin que d’un peu d’ombrage et de silence pour m’endormir en plein jour comme nos pauvres chers enfants dormaient maintenant sous mes yeux. Et, à présent, il me paraîtrait impossible d’en faire autant, et d’oublier pendant une minute les chagrins et les ennuis de la