Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/236

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élevée à moitié dans le matérialisme sceptique du xviiie siècle, à moitié dans l’éclectisme français, radotait néanmoins de christianisme et de religion, et se parait du nom de modérés : comme si, entre l’être et le néant, entre la société future et les gouvernements qui en combattent le développement, il pouvait jamais exister un chemin de milieu ! Ces gens-là s’étaient posé, pour problème à résoudre, la conciliation des inconciliables : la liberté avec la royauté, la nationalité avec le démembrement, la force avec une direction incertaine. Aucune classe d’hommes n’eût pu opérer cet étrange prodige, celle-là moins que tout autre. C’étaient des écrivains doués de talent, mais sans l’étincelle du génie ; suffisamment pourvus de cette sorte d’érudition italienne qui s’acquiert dans les livres avec les morts, mais que ne féconde point l’impulsion vivifiante des synthèses. Ils ne comprenaient pas le travail de fusion qui s’était accompli mystérieusement dans les trois derniers siècles. Ils n’avaient pas conscience de la mission italienne, encore moins la faculté de communier avec le peuple qu’ils croyaient corrompu, qui, pourtant, valait mieux qu’eux, et dont les éloignaient les habitudes de leur vie, certaines dissidences traditionnelles et des instincts non cachés d’aristocratie nobiliaire ou littéraire. Par cet isolement moral et intellectuel, par cette séparation d’avec le peuple, qui est désormais l’unique élément progressif et l’arbitre de la vie des nations, ils étaient déshérités de toute vraie science et de toute foi dans l’avenir. Leur conception historique flottait,