Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/347

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tombés des mains au bout de quelques pages, comme des cauchemars écœurants, et j’ai été longtemps sans pouvoir me décider à lire la dixième partie des œuvres inédites ou publiées auxquelles on me priait de m’intéresser. Il y a eu pourtant énormément d’esprit et de talent dépensés dans cette mauvaise voie, pour satisfaire les goûts terribles du moment ; il faut bien se dire que, de tout temps, la mode a fait le plus grand tort possible à la naïveté ou à la sincérité individuelles, partant à la vérité qui est la mère des talents de bon aloi.

Ce qui nous a plu dans les Contes qu’on va lire, c’est l’absence d’affectation, c’est la bonne foi, et cette douceur de l’âme qui est une qualité bien appréciable après tant de féroces tentatives faites par des esprits peut-être excellents, pour paraître détestables. Celui qui a écrit ce recueil a cependant souffert, on le voit bien ; beaucoup souffert peut-être : mais il n’a renié ni le ciel ni les hommes. Son talent a conservé de la grâce, et c’est un signe certain que son cœur a gardé de la jeunesse. Grande rareté par le temps qui court ; grand mérite aussi, car il faut avouer que l’époque où nous vivons est de celles qui ébranlent violemment toutes les notions acquises à l’humanité, et qui amènent le doute et l’aigreur dans les têtes vives. Sachons donc beaucoup de gré aux hommes d’imagination, aux jeunes artistes, êtres impressionnables par excellence, qui croient et nous font croire encore à l’amitié, à l’honneur, au dévouement, à l’amour et à Dieu !

Nohant, 16 décembre 1852.