Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/378

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peine les tire-t-on à quelques centaines d’exemplaires. Les livres d’histoire, un peu plus répandus, sont très chers. Il ne reste donc pour le public des industriels, des commerçants, des employés, des ouvriers, c’est-à-dire pour le gros de la nation, que les journaux politiques et les publications de romans illustrés, aliment intellectuel des oisifs et des grands enfants. Les exceptions sont rares, et, quand on a nommé le Magasin pittoresque et deux ou trois autres feuilles qui rendent de véritables services, on est conduit à reconnaître que la lecture, ce puissant moyen de civilisation, reste aux mains du grand nombre un simple instrument de distraction. Le lecteur d’aujourd’hui s’amuse, il ne s’instruit pas. Quelquefois il se corrompt, et alors on pourrait dire, avec Jean-Jacques Rousseau, qu’il aurait mieux valu ne pas apprendre à lire.

Des ouvrages compréhensibles pour tous, et à bas prix, tel est donc le besoin impérieux du moment, et il nous a semblé tout naturel qu’il y fût répondu par d’anciens représentants du peuple. En fondant la Bibliothèque utile, ils n’ont pas voulu faire une étroite manifestation de parti : la politique du moment n’a rien à voir dans cette œuvre, dont le but et la portée ont un bien plus haut caractère. Ces hommes ont servi la France au moment de la tourmente : ils veulent la servir encore, et ils ne peuvent mieux choisir le temps et saisir l’occasion, dussent-ils, comme Moïse, ne jamais voir la terre promise vers laquelle ils ont à diriger les générations actuelles.