Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/46

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jeunes lilas à peine éclos aux premières brises d’avril furent dépouillés et se répandirent au bout des fusils comme une forêt qui marche. La population sédentaire de Paris, qui s’était mise aux fenêtres pour les voir passer, sema de fleurs et de rubans les légions qui n’avaient pas eu le temps ou le moyen de s’en procurer. Les femmes arrachaient les ornements de leurs coiffures, et une pluie de rubans et de fleurs donna bientôt au redoutable appareil des baïonnettes un caractère de fête et de triomphe pacifique. Mais ce ne fut pas tout. Entre chaque bataillon armé, au défilé de chaque fragment de l’immense colonne qui se déroulait dans le cortège, des bataillons improvisés de femmes, de vieillards, d’enfants, de citoyens non encore incorporés dans les légions, s’élancèrent dans les intervalles, et vinrent saluer l’arc de triomphe, où siégeait le Gouvernement provisoire ; protestation touchante contre toute idée de lutte possible au sein de la République, ces phalanges populaires, marchant entre les murailles étincelantes des baïonnettes pressées, vinrent apporter la sanction du concours unanime à cette unanime acclamation.

Le soir, lorsque l’artillerie défila aux flambeaux, il semblait que l’appareil militaire eût dû reprendre son aspect guerrier. L’artillerie est la plus belle arme pour compléter un tableau de ce genre. Le bruit des chariots sur le pavé arrive de loin comme celui du tonnerre. Les attelages, en se pressant les uns contre les autres, exigent la force et l’adresse du cavalier qui les lance ou les contient. Les canons, dont le cuivre lance