Page:Sand - Tamaris.djvu/75

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que étrange et saisissante improvisation. C’était entrecoupé de sanglots tragiques et de hurlements sauvages. Il y avait des poses superbes, des larmes plutôt gémies que pleurées, une douleur parlée plutôt que sentie ; c’était beau comme une scène de Sophocle ou d’Eschyle, ou, encore mieux, comme un chant de l’Iliade ; c’était naïf en même temps qu’emphatique.

» Je fus très-ému sans que mon cœur fût précisément attendri. Ces cris et ces soupirs, qui durèrent encore une demi-heure, me causaient une excitation nerveuse que je ne peux guère définir, car les sens n’y étaient pour rien. Quelque bizarre que fût cette manifestation de ses regrets, je ne pouvais pas oublier un seul instant que c’était une fille pleurant son père enseveli la veille.

» D’ailleurs, le cadre de la scène était lugubre. J’ai horreur du suicide, je ne le comprends pas ; j’aime la vie, j’en ai toujours savouré le bienfait, en me reprochant de n’en pas savoir assez de gré au divin pouvoir qui l’a inventée. Cette chambre à demi éclairée par une lampe, ces murs blancs chargés d’ornements rouges que par moments je prenais pour des taches de sang, cette belle fille arrachant ses cheveux et meurtrissant sa poitrine et ses bras, c’était beau, mais ce n’était pas gai.

» Quand minuit sonna, elle s’apaisa tout à coup ; mais, comme je craignais, en la voyant immobile,