Page:Sand - Theatre complet 1.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vaine, s’il n’avait le courage de l’esprit et la puissance du talent. Nous en connaissons d’autres, moins également heureux, mais non moins vaillants, qui croient et savent aussi que l’artiste véritable ne doit pas suivre le public, mais le devancer, et faire bon marché de ses injustices.

Pour nous-même, qui avons eu au théâtre de grands succès, et aussi des succès d’estime, c’est-à-dire des insuccès, nous ne varierons pas dans notre respect pour le public, et, par ce qui précède, on voit comment nous entendons ce respect. Chercher à lui plaire par des habiletés puériles et de lâches sacrifices à son prétendu manque d’idéal ne serait pas, selon nous, le respecter ; ce serait, au contraire, le mépriser profondément. Ce que nous respectons en lui, ce n’est ni le bruit de ses mains, ni le contenu de sa bourse : il est souvent mal à propos avare ou prodigue de ces choses-là. S’il est, à un jour donné, dans une veine de scepticisme et de dédain pour la poésie de l’âme, c’est tant pis pour lui bien plus que pour nous. Un autre jour, il sera mieux disposé, et, qu’il le soit pour nous ou pour un autre qui l’aura mieux mérité, ce sera toujours tant mieux. Ce que nous trouvons d’infiniment respectable chez lui, c’est le progrès qu’il est toujours capable de faire et dont il ne se défend pas de propos délibéré. Ce que nous ne nous lasserons pas de flatter en lui, c’est le beau côté de la nature humaine, ce sont les instincts élevés qui, tôt ou tard, reprennent le dessus. Quant à ses accès de mauvais prosaïsme et d’engourdissement du cœur, nous ne les guetterons pas pour les encenser, et, quand nous serons aux prises avec ses préjugés et ses erreurs, nous le défions bien de nous faire transiger, dût-il nous placer entre les sifflets et les grosses recettes.

Avec cette résolution, que nous n’avons jamais dissimulée, nous aurons peut-être plus de revers que de triomphes ; mais il est certain que nous n’aurons jamais ni humiliation ni regret de nos travaux dramatiques.

En défendrons-nous ici la valeur contre les attaques parfois amères, parfois irréfléchies de la critique ? Non. La critique