dramatique dans les voies hardies du romantisme ; vous à qui de grands poètes ont dû de grands succès, et qui, avec eux, avez accompli une transformation théâtrale, vous vous êtes montré artiste bien complet et bien généreux en me forçant, en quelque sorte, à vous laisser tenter une expérience si opposée aux habitudes du théâtre moderne. À Dieu ne plaise que cette apparition soit taxée de retour aux formes classiques ! Je suis trop de mon temps pour désirer qu’une école qui a eu ses époques de grandeur et de décadence, comme toutes les écoles, vienne remplacer tout ce que le génie du nouveau siècle a acquis de beau et de bon au théâtre. Il y a eu excès de sève dans la production ; mais un excès de sobriété dans les moyens serait pire, et ferait succéder un système un peu bête à un système uu peu fou. Je n’ai pas peur que vous vous y laissiez prendre. Il y aura une école nouvelle qui ne sera ni classique ni romantique, et que nous ne verrons peut-être pas, car il faut le temps à tout, et nous sommes un peu plus d’hier que de demain, vous et moi ; mais, sans aucun doute, cette école nouvelle sortira du romantisme, comme la vérité sort plus immédiatement de l’agitation des vivants que du sommeil des morts. Je trouve que la critique a parfois un peu déraisonné sur ces questions d’école. On a voulu procéder par réactions de systèmes. Les réactions sont toujours des pas en arrière qui manquent leur effet et vous emportent en avant malgré vous. Chénier est un romantique ; Lucrèce et Agnès de Méranie d’un côté, la Cigué et Gabrielle de l’autre, ne sont point des œuvres classiques, quoi qu’on ait dit. Si le Champi était quelque chose, ce serait plutôt une pastorale romantique dans le vrai sens du mot. Mais laissons là le Champi, laissons là les systèmes, et finissons cette causerie par le souvenir de notre vieille amitié, qui m’est plus précieuse qu’un succès de théâtre.
Paris, décembre 1849.