Page:Sand - Theatre complet 1.djvu/161

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MADELEINE.

Je te savais dans une bonne place, et je ne voulais point te déranger de ton ouvrage. Comment donc as-tu fait pour vernir de si loin ?

FRANÇOIS.

Ce n’est pas bien loin, allez !… Dix lieues de pays, pour venir vous voir, ça ne m’a coûté qu’une enjambée. Et pourtant, la route m’a paru longue… Ah ! faut-il !… la neige m’écolérait, parce qu’elle m’empêchait de marcher mon pas. Et puis, quand j’ai vu la fumée sur le toit, j’ai dit : « C’est bon, la maison est habitée… » Ah bien, oui ! mais ça pouvait être par d’autres ; car je savais que vos affaires étaient en mauvais arroi, et que votre mari ne vous avait laissé que des dettes… Et, quand j’ai vu l’endroit si changé, la moitié des arbres coupée, le moulin qui a perdu la parole, et la roue toute prise dans la glace,… je me suis dit : « Voilà une maison qui va à sa ruine ; une meule qui n’a plus de grain ;… plus de chevaline au pré, plus de volature dans la cour, ça ne va plus !… ça ne va plus !… et il est grand temps que j’arrive. »

MADELEINE.

Comme ça me fait plaisir d’entendre ta voix… malgré qu’elle soit bien changée.

FRANÇOIS.

Ah ! dame ! ce n’est plus la voix d’un enfant ; mais c’est toujours le même cœur, allez !… c’est toujours l’amitié de votre champi, l’enfant de l’hospice que vous avez recueilli, élevé, instruit, choyé, comme si c’était le vôtre ! et ce cœur-là, voyez-vous, madame Blanchet, il est à vous, comme celui de votre fils Jeannie est à vous. Mais je vous parle trop, et peut-être que mon parlage vous casse la tête ?

MADELEINE.

Tout au contraire, et il me semble que, de t’avoir vu, ça me fera du bien.

FRANÇOIS.

De m’avoir vu ? Vous croyez donc que je vas vous quitter ?