Page:Sand - Theatre complet 1.djvu/285

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veillé, et je veux vivre ! Vivre quand ça ne serait qu’un moment, pour vous dire que vous êtes des malheureux, plus malheureux que moi ! Vous accusez ma fille ! Ma fille qui vaut mieux que vous tous, qui ne vous demande rien pas plus que moi, qui travaille comme un galérien pour me faire vivre, qui a été bonne mère autant qu’elle est bonne fille ! Ma Claudie ! (Claudie se cache en sanglotant dans le sein de son père.) Eh bien, oui, c’est vrai, qu’elle a été trompée, c’est vrai qu’à l’âge de quinze ans elle a écouté un garçon sans cœur et sans religion. Elle l’a aimé, elle l’a cru honnête ; il n’y a que celles qui n’aiment point qui se méfient ! Oui, c’est qu’un enfant méconnu et abandonné de son père a été élevé dans notre pauvre logis ! (Sylvain tombe assis à gauche près de sa mère, se cache la figure dans ses mains, et reste dans cette position le restant de l’acte. Rémy continuant, aux autres personnages.) Le pauvre enfant ! si beau, si doux, si caressant, si malheureux ! Un ange du bon Dieu qui nous consolait de tout, et qui ne nous faisait pas honte, nous l’aimions trop pour ça ! Et, dans notre endroit, chacun l’aimait et le plaignait d’être si chétif qu’il ne pouvait pas vivre ! Pauvre petit ! il avait été nourri de larmes ! Et vous nous reprochez, ça ! Vous chassez ma fille comme un vagabonde, et vous ne chassez point à coups de fourche et de fourchat un infâme qui, après lui avoir juré le mariage, l’a délaissée, oubliée dans sa misère, et qui ose encore venir auprès de vous l’accuser du tort qu’il lui a fait ? Vous avez pourtant vu comme cette fille souffre et travaille ! Vous ne lui avez jamais entendu faire une plainte ni un reproche, ni une bassesse, ni une avance ! Et vous osez dire qu’elle veut se faire épouser par votre garçon ! (Montrant Sylvain.) Est-ce qu’il est digne d’elle, votre garçon ? Qu’il soit honnête homme et bon ouvrier tant qu’il voudra, est-ce qu’il a montré sa vertu par des épreuves comme les nôtres ? Est-ce qu’il a été foulé de misère et de chagrin comme nous ? Est-ce qu’il connaît comme nous la patience et la soumission aux volontés du bon Dieu ? Non, non ! ne soyez pas si fiers ! Vous êtes plus aisés que nous, et voilà tout ce que vous avez de plus que nous dans ce monde ;