Page:Sand - Theatre complet 1.djvu/320

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presque toute sa vie, lui était-il possible d’être autrement ?

Fut-il aimé et vénéré jusqu’à sa dernière heure par ses amis, par sa servante, par son protecteur Condé, qui, certes, n’aimait pas les flatteurs, par son élève Baron, qui cependant aimait ou avait aimé sa femme ? Oui, et c’est une preuve irrécusable que la bonté de son cœur et la grandeur de ses sentiments faisaient oublier les inégalités de son humeur.

Voilà tout ce que j’ai à dire aux ennemis de l’auteur de Tartufe. Qu’ils tâchent de lire l’histoire de bonne foi, et ils verront que ce n’est pas moi qui ai eu l’honneur d’inventer Molière honnête homme, mais que c’est le témoignage de tous ceux qui l’ont connu et jugé avec impartialité.

Quant à ceux qui me reprochent de l’avoir montré trop terre à terre, trop semblable aux autres hommes, trop malheureux des choses vulgaires de la vie, pas assez homme de génie, pas assez grand homme enfin, et qui partent de là pour me faire un crime, une insolence, une audace inouïe du sujet et du titre de ma pièce, je leur répondrai ceci : « Vous auriez raison de me reprocher mon audace, si j’avais tenté de vous montrer Molière écrivain, Molière satirique, Molière railleur, Molière raisonneur, aux prises avec les beaux esprits, les théologues, les philosophes et les critiques de son temps. Mais vous voyez bien que je n’y ai pas même songé, et que l’insolence ne m’est pas venue de vous montrer le coté de l’homme que vous connaissez aussi bien que moi, et que vous appréciez peut-être encore mieux que je ne saurais le faire. Je n’ai voulu peindre de Molière que ce que tout le monde, le premier venu, la servante de Molière par exemple, eût pu voir, comprendre et raconter. Si jamais entreprise fut modeste, c’est celle-là, et vous n’êtes pas justes de chercher l’outrecuidance où il n’y a qu’humilité respectueuse. »

À quoi eût servi de vouloir montrer les preuves de la gloire de Molière ? qui donc les ignore ? Lisez Tartufe, lisez le Misanthrope, lisez tous ses chefs-d’œuvre, et ne demandez pas