Page:Sand - Theatre complet 1.djvu/347

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ARMANDE.

Et vous, monsieur Duparc, dit Gros-Réné, vous ne buvez à personne ? Eh bien, je veux que vous me fassiez raison, et je vous propose la santé de vos deux chiens, Artaban et Tiburce.

DUPARC, élevant son verre.

Vivent les chiens ! Il n’y a que cela d’honnête et de fidèle en ce triste monde !

PIERRETTE, qui est assise par terre auprès des demoiselles Béjart.

Oh bien, vivent les oies ! c’est des bonnes bêtes aussi ; ça ne vous a pas un brin de malice.

MOLIÈRE.

Vivent les bêtes tant que vous voudrez : les plus humbles créatures sont l’ouvrage de ce grand artisan de l’univers dont cette belle nature est le temple ouvert à tous les hommes, même au pauvre comédien excommunié. Mais, puisque nous sommes en train de porter des santés, portons donc celle de ce pauvre peuple de France, qui paye les violons de toutes les fêtes et les trompettes de toutes les guerres ! Qu’en dites-vous, notre hôte ?

LE CAVALIER.

Vivent la France et son peuple ! soit.

MOLIÈRE.

Hélas ! la France… où est-elle à cette heure ?

LE CAVALIER.

Elle est où sont ses véritables intérêts, monsieur, et tout le monde ne peut pas en être juge.

MOLIÈRE.

Il y a bien des théories là-dessus ; mais je suis un pauvre homme qui ne connaît pas la pratique et qui va philosophant et moralisant à sa mode sur les faits évidents. Je crois donc, sans vous offenser, qu’aujourd’hui aucun parti ne représente la France. Vieille Fronde, jeune Fronde, ministère, parlement, bourgeoisie, peuple des villes et des campagnes, qui bataille tantôt pour celui-ci, tantôt pour celui-là, sans savoir de quoi il retourne, tous ces noms, toutes ces devises ne représentent plus que des passions, des intérêts, des ambitions, chez les