Page:Sand - Theatre complet 3.djvu/237

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même dans le silence, tant sa physionomie est vraie et comiquement attentive. Il est jeune encore, et appelé, je n’en doute pas, à de très-grandes créations dans son genre.

Quant à vous, monsieur, vous n’avez pas, je crois, de genre proprement dit : je vous ai vu dans des rôles très-différents ; quelquefois, vous m’avez étonné par cette variété d’aptitudes, mais je vous ai vu sublime deux fois ; dans Hamlet, vous étiez à la hauteur d’un personnage dont le génie, au lieu de vous écraser, vous portait comme un oiseau des tempêtes ; et ensuite dans ce rôle que l’on n’ose pas nommer à la suite d’Hamlet, mais où, jeté dans des régions inférieures, vous planez comme l’aigle tranquille sur les flots apaisés.

On vous a beaucoup discuté, et quelquefois repoussé, me dit-on : c’est le sort des hommes de génie. Consolez-vous ; vous avez eu et vous aurez encore de belles revanches, où le public, qui finit toujours par être juste, se dira que ce n’était peut-être pas vous qui vous égariez, mais lui qui se trompait. Moi, je ne vous ai jamais vu vous tromper ; mais, quand même cela vous serait arrivé, qu’importe ? Tant mieux peut-être, si c’est en reconnaissant des erreurs de goût que vous êtes arrivé à ce goût exquis et suprême qui vous fait trouver des choses si admirables maintenant, et dire des mots, — des mots insignifiants par eux-mêmes en apparence, comme le Tais-toi de Favilla, — où vous mettez toute une âme, toute une vie de douleur et de bonté. Vous avez découvert des trésors que d’autres artistes de génie n’avaient pas cherchés et qui ne sont apparus qu’à vous. Ces découvertes vous sont propres, et elles feront école un jour où l’autre : je l’entends dire autour de moi, et cela me paraît certain, inévitable.

Si j’y ai un peu contribué, monsieur, je serai plus touché d’un tel résultat que de ce qui peut m’être personnel dans le succès de mon petit travail.

G. S.