Page:Sand - Theatre complet 3.djvu/265

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KELLER.

Et comment ça, je vous prie ? Je suis curieux de vos raisonnements, à vous !

FAVILLA.

Ils sont bien simples. Vous êtes négociant, vous n’existez que par le calcul des profits et des pertes. Ce n’est pas seulement une question de succès : c’est surtout, pour un homme de bonne foi comme vous, une question d’honneur.

KELLER.

Bien !

FAVILLA.

Mais il y a des devoirs relatifs aux diverses conditions de la vie. Dans les affaires où l’on vit de crédit, c’est-à dire d’estime et de confiance, il arrive souvent qu’on est forcé de faire taire le cœur, dans la crainte de compromettre des intérêts qui sont ceux d’autrui. Là, l’économie, la rigidité, la méfiance même, sont des nécessités auxquelles vous n’avez pas toujours le droit de vous soustraire. La propriété n’est jamais qu’un dépôt dans nos mains, voyez-vous, et, dans le commerce, le dépôt est si direct, si personnel, qu’il n’y a pas moyen de l’oublier un seul instant.

Favilla va à la table.
KELLER.

Très-bien ! (À Frantz.) Si cet homme-là n’était pas fou, il ne serait pas sot. (À Favilla.) Alors, vous voyez donc bien que j’ai raison de crier…

FAVILLA.

Dans votre boutique, oui ! l’économie est une vertu ; mais, dans ce château, c’est différent : ce serait une petitesse, un ridicule.

KELLER.

Et pourquoi donc ? Vous dites que toute propriété est un dépôt…

FAVILLA, revenant.

Raison de plus. Le dépôt par héritage impose des vertus plus faciles et plus douces. Dans ma position, j’ai à me faire