Page:Sand - Theatre de Nohant.djvu/206

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DURAND, à part.

Ah ! toujours lui, toujours ce Jean, cet imbécile, ce Jocrisse, ce Pierrot ! Oh ! les femmes ! les femmes ! Il y a de quoi devenir fou ! (Regardant Louise, qui se penche à la fenêtre.) Eh bien, tu lui parles, tu l’appelles ?

LOUISE.

Non, monsieur, je le regarde, je le suis des yeux. Savez-vous que ça m’inquiète, de l’avoir vu sortir en refusant ses gages et en me regardant d’un air… Le voilà qui se promène du côté de l’eau !…

DURAND, ému.

Est-ce que tu le crois capable… ?

LOUISE.

De s’y jeter ? Ma foi, que sait-on ? Il m’en a menacé deux fois aujourd’hui. Il n’a pas la tête bien forte… Être chassé comme ça de chez vous, qui êtes si juste et si bon, c’est une grande honte, et on est capable de croire dans le pays qu’il a fait quelque chose de bien mal ! Le voilà déshonoré pour un mot dont il n’a pas senti la conséquence, pauvre Jean !

DURAND, jaloux.

Louise, tu pleures !

LOUISE.

Eh bien, oui, monsieur, je pleure… C’est mon camarade, mon ami d’enfance, mon bon compagnon de travail, mon pareil, à moi !

DURAND, prenant machinalement son fusil.

Ah ! malheureuse ! c’est de la passion que tu as pour lui, et je ne sais ce qui me retient… (il fait un pas vers la fenêtre.)

LOUISE.

Vous voulez le tuer ? Eh bien, vous me tuerez d’abord !

DURAND, quittant son fusil, à part.

Mon Dieu ! mon Dieu ! préservez-moi ! sauvez-moi ! J’ai eu envie de la tuer aussi ! (Haut.) Voyons, ne crains rien, quitte cette fenêtre…

LOUISE.

La quitter ?… Mais non, monsieur ! Voyez, le voilà qui