Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/108

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

fauteuil d’un air consterné. Il eut envie de se jeter à ses pieds, de pleurer sur ses mains ; mais il sentait trop la nécessité de dominer l’agitation de ces deux femmes à force de sang-froid et de fermeté.

— J’étais si intéressé dans votre discussion, reprit-il, que j’ai cru rentrer dans mon droit en venant y prendre part. Si j’ai eu tort, l’avenir en décidera. En attendant, tâchons d’être plus forts que notre destinée. Louise, vous ne sauriez rougir de ce que vous avez dit devant moi ; vous ne pouvez oublier que vous vous êtes souvent accusée ainsi à moi-même, et je serais tenté de croire qu’il y a de la coquetterie dans votre vertueuse humilité, tant vous savez bien quel doit en être l’effet sur ceux qui, comme moi, vous vénèrent pour les épreuves que vous avez subies.

En parlant ainsi, il prit la main de Louise, qui était penchée sur sa sœur et la tenait embrassée ; puis il l’attira doucement et d’un air affectueux vers un siège plus éloigné ; et quand il l’y eut assise, il porta cette main à ses lèvres avec tendresse, et aussitôt, s’emparant du siège dont il l’avait arrachée, et se plaçant entre elle et Valentine, il lui tourna le dos et ne s’occupa plus d’elle.

— Valentine ! dit-il alors d’une voix pleine et grave.

C’était la première fois qu’il osait l’appeler par son nom en présence d’un tiers. Valentine tressaillit, écarta ses mains dont elle se cachait le visage, et laissa tomber sur lui un regard froid et offensé. Mais il répéta son nom avec une douceur pleine d’autorité, et tant d’amour brillait dans ses yeux que Valentine se cacha de nouveau le visage pour ne pas le voir.

— Valentine, reprit-il, n’essayez pas avec moi ces feintes puériles qu’on dit être la grande défense de votre sexe ; nous ne pouvons plus nous tromper l’un l’autre. Voyez cette cicatrice ! je l’emporterai dans la tombe ! C’est le sceau et le symbole de mon amour pour vous. Vous ne pouvez pas croire que je consente à vous perdre, c’est une erreur trop naïve pour que vous l’admettiez ; Valentine, vous n’y songez pas !

Il prit ses mains dans les siennes. Subjuguée par son air de résolution, elle les lui abandonna et le regarda d’un air effrayé.

— Ne me cachez pas vos traits, lui dit-il, et ne craignez pas de voir en face de vous le spectre que vous avez retiré du tombeau ! Vous l’avez voulu, Madame ! si je suis devant vous aujourd’hui comme un objet de terreur et d’aversion, c’est votre faute. Mais écoute, ma Valentine, ma toute-puissante maîtresse, je t’aime trop pour te contrarier ; dis un mot, et je retourne au linceul dont tu m’as retiré.

En même temps, il tira un pistolet de sa poche, et le lui montrant :

— Vois-tu, lui dit-il, c’est le même, absolument le même ; ses braves services ne l’ont point endommagé ; c’est un ami fidèle et toujours à tes ordres. Parle, chasse-moi, il est toujours prêt… Oh ! rassurez-vous, s’écria-t-il d’un ton railleur, en voyant ces deux femmes, pâles d’effroi, se reculer en criant ; ne craignez pas que je commette l’inconvenance de me tuer sous vos yeux ; je sais trop les égards qu’on doit aux nerfs des femmes.

— C’est une scène horrible ! s’écria Louise avec angoisse ; vous voulez faire mourir Valentine.

— Tout à l’heure, Mademoiselle, vous me réprimanderez, répondit-il d’un air haut et sec ; à présent je parle à Valentine, et je n’ai pas fini.

Il désarma son pistolet et le mit dans sa poche.

— Voyez-vous, Madame, dit-il à Valentine, c’est absolument à cause de vous que je vis, non pour votre plaisir, mais pour le mien. Mon plaisir est et sera toujours bien modeste. Je ne demande rien que vous ne puissiez accorder sans remords à la plus pure amitié. Consultez votre mémoire et votre conscience ; l’avez-vous trouvé bien audacieux et bien dangereux, ce Bénédict qui n’a au monde qu’une passion ? Cette passion, c’est vous. Vous ne pouvez pas espérer qu’il en ait jamais une autre, lui qui est déjà vieux de cœur et d’expérience pour tout le reste ! lui qui vous a aimée, n’aimera jamais une autre femme ; car enfin, ce n’est pas une brute, ce Bénédict que vous voulez chasser ! Eh quoi ! vous m’aimez assez pour me craindre, et vous me méprisez assez pour espérer me soumettre à vous perdre ? Oh ! quelle folie ! Non, non ! je ne vous perdrai pas tant que j’aurai un souffle de vie, j’en jure par le ciel et par l’enfer ! je vous verrai, je serai votre ami, votre frère, ou que Dieu me damne si…

— Par pitié, taisez-vous, dit Valentine, pâle et suffoquée, en lui pressant les mains d’une manière convulsive ; je ferai ce que vous voudrez, je perdrai mon âme à jamais, s’il le faut, pour sauver votre vie…

— Non, vous ne perdrez pas votre âme, répondit-il, vous nous sauverez tous deux. Croyez-vous donc que je ne puisse pas aussi mériter le ciel et tenir un serment ? Hélas ! avant vous je croyais à peine en Dieu ; mais j’ai adopté tous vos principes, toutes vos croyances. Je suis prêt à jurer par celui de vos anges que vous me nommerez. Laissez-moi vivre, Valentine ; que vous importe ? Je ne repousse pas la mort ; imposée par vous, cette fois, elle me serait plus douce que la