Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/118

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quelques paroles à voix basse avec M. de Lansac, et avoir salué sa femme avec le même embarras et le même regard d’insolente servilité que la première fois.

Lorsque les deux époux furent seuls ensemble, une mortelle frayeur s’empara de Valentine. Pâle et les yeux baissés, elle cherchait en vain à renouer la conversation, quand M. de Lansac, rompant le silence, lui demanda la permission de se retirer, accablé qu’il était de fatigue.

— Je suis venu de Pétersbourg en quinze jours, lui dit-il avec une sorte d’affectation ; je ne me suis arrêté que vingt-quatre heures à Paris ; aussi je crois… j’ai certainement de la fièvre.

— Oh ! sans doute, vous avez… vous devez avoir la fièvre, répéta Valentine avec un empressement maladroit.

Un sourire haineux effleura les lèvres discrètes du diplomate.

— Vous avez l’air de Rosine dans le Barbier ! dit-il d’un ton semi-plaisant, semi-amer, Buona sera, don Basilio ! Ah ! ajouta-t-il en se traînant vers la porte d’un air accablé, j’ai un impérieux besoin de sommeiller ! Une nuit de plus en poste, et je tombais malade. Il y a de quoi, n’est-ce pas, ma chère Valentine ?

— Oh oui ! répondit-elle, il faut vous reposer ; je vous ai fait préparer…

— L’appartement du pavillon, n’est-il pas vrai, ma très-belle ? C’est le plus propice au sommeil. J’aime ce pavillon, il me rappellera l’heureux temps où je vous voyais tous les jours…

— Le pavillon ! répondit Valentine d’un air épouvanté qui n’échappa point à son mari, et qui lui servit de point de départ pour les découvertes qu’il se proposait de faire avant peu.

— Est-ce que vous avez disposé du pavillon ? dit-il d’un air parfaitement simple et indifférent.

— J’en ai fait une espèce de retraite pour étudier, répondit-elle avec embarras ; car elle ne savait pas mentir. Le lit est enlevé, il ne saurait être prêt pour ce soir… Mais l’appartement de ma mère, au rez-de-chaussée, est tout prêt à vous recevoir… s’il vous convient.

— J’en réclamerai peut-être un autre demain, dit M. de Lansac avec une intention féroce de vengeance et un sourire plein d’une fade tendresse ; en attendant, je m’arrangerai de celui que vous m’assignez.

Il lui baisa la main. Sa bouche sembla glacée à Valentine. Elle froissa cette main dans l’autre pour la ranimer, quand elle se trouva seule. Malgré la soumission de M. de Lansac à se conformer à ses désirs, elle comprenait si peu ses véritables intentions que la peur domina d’abord toutes les angoisses de son âme. Elle s’enferma dans sa chambre, et le souvenir confus de cette nuit de léthargie qu’elle y avait passée avec Bénédict lui revenant à l’esprit, elle se leva et marcha dans l’appartement avec agitation pour chasser les idées décevantes et cruelles que l’image de ces événements éveillait en elle. Vers trois heures, ne pouvant ni dormir ni respirer, elle ouvrit sa fenêtre. Ses yeux s’arrêtèrent longtemps sur un objet immobile, qu’elle ne pouvait préciser, mais qui, se mêlant aux tiges des arbres, semblait être un tronc d’arbre lui-même. Tout à coup elle le vit se mouvoir et s’approcher ; elle reconnut Bénédict. Épouvantée de le voir ainsi se montrer à découvert en face des fenêtres de M. de Lansac, qui étaient directement au-dessous des siennes, elle se pencha avec épouvante pour lui indiquer, par signes, le danger auquel il s’exposait. Mais Bénédict, au lieu d’en être effrayé, ressentit une joie vive en apprenant que son rival occupait cet appartement. Il joignit les mains, les éleva vers le ciel avec reconnaissance, et disparut. Malheureusement M. de Lansac, que l’agitation fébrile du voyage empêchait aussi de dormir, avait observé cette scène de derrière un rideau qui le cachait à Bénédict.

Le lendemain, M. de Lansac et M. Grapp se promenèrent seuls dès le matin.

— Eh bien ! dit le petit homme ignoble au noble comte, avez-vous parlé à votre épouse ?

— Comme vous y allez, mon cher ? Eh ! donnez-moi le temps de respirer.

— Je ne l’ai pas, moi, Monsieur. Il faut terminer cette affaire avant huit jours ; vous savez que je ne puis différer davantage.

— Eh ! patience ! dit le comte avec humeur.

— Patience ? reprit le créancier d’une voix sombre ; il y a dix ans, Monsieur, que je prends patience ; et je vous déclare que ma patience est à bout. Vous deviez vous acquitter en vous mariant, et voici déjà deux ans que vous…

— Mais que diable craignez-vous ? Cette terre vaut cinq cent mille francs, et n’est grevée d’aucune autre hypothèque.

— Je ne dis pas que j’aie rien à risquer, répondit l’intraitable créancier ; mais je dis que je veux rentrer dans mes fonds, réunir mes capitaux, et sans tarder. Cela est convenu, Monsieur, et j’espère que vous ne ferez pas encore cette fois comme les autres.

— Dieu m’en préserve ! j’ai fait cet horrible voyage exprès pour me débarrasser à tout jamais de vous… de votre créance, je veux dire, et il me tarde de me voir enfin libre de soucis. Avant huit jours vous serez satisfait.

— Je ne suis pas aussi tranquille que