Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/147

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sa méprise. Malgré la rudesse de son organisation, le remords et le chagrin le rongeaient secrètement. Il devint sombre, hargneux, irritable. Tout ce qui ressemblait à un reproche l’exaspérait, parce que le reproche s’élevait encore plus haut en lui-même. Il eut peu de relations avec sa famille durant l’année qui suivit son crime. Athénaïs faisait de vains efforts pour dissimuler l’effroi et l’éloignement qu’il lui inspirait. Madame Lhéry se cachait pour ne pas le voir, et Louise quittait la ferme les jours où il devait y venir. Il chercha dans le vin une consolation à ses ennuis, et parvint à s’étourdir en s’enivrant tous les jours. Un soir il s’alla jeter dans la rivière, que la clarté blanche de la lune lui fit prendre pour un chemin sablé. Les paysans remarquèrent, comme une juste punition du ciel, que sa mort arriva, jour pour jour, heure pour heure, un an après celle de Bénédict.

Plusieurs années après, on vit bien du changement dans le pays. Athénaïs, héritière de deux cent mille francs légués par son parrain le maître de forges, acheta le château de Raimbault et les terres qui l’environnaient. M. Lhéry, poussé par sa femme à cet acte de vanité, vendit ses propriétés, ou plutôt les troqua (les malins du pays disent avec perte) contre les autres terres de Raimbault. Les bons fermiers s’installèrent donc dans l’opulente demeure de leurs anciens seigneurs, et la jeune veuve put satisfaire enfin ces goûts de luxe qu’on lui avait inspirés dès l’enfance.



XXXIX.

Louise, qui avait été achever à Paris l’éducation de son fils, fut invitée alors à venir se fixer auprès de ses fidèles amis. Valentin venait d’être reçu médecin. On l’engageait à se fixer dans le pays, où M. Faure, devenu trop vieux pour exercer, lui léguait avec empressement sa clientèle.

Louise et son fils revinrent donc, et trouvèrent chez cette honnête famille l’accueil le plus sincère et le plus tendre. Ce fut une triste consolation pour eux que d’habiter le pavillon. Pendant cette longue absence, le jeune Valentin était devenu un homme ; sa beauté, son instruction, sa modestie, ses nobles qualités, lui gagnaient l’estime et l’affection des plus récalcitrants sur l’article de la naissance. Cependant il portait bien légitimement le nom de Raimbault. Madame Lhéry ne l’oubliait pas, et disait tout bas à son mari que c’était peu d’être propriétaire si l’on n’était seigneur ; ce qui signifiait, en d’autres termes, qu’il ne manquait plus à leur fille que le nom de leurs anciens maîtres. M. Lhéry trouvait le jeune médecin bien jeune.

— Eh ! disait la mère Lhéry, notre Athénaïs l’est bien aussi. Est-ce que nous ne sommes pas de la même âge, toi et moi ? Est-ce que nous en avons été moins heureux pour ça ?

Le père Lhéry était plus positif que sa femme ; il disait que l’argent attire l’argent ; que sa fille était un assez beau parti pour prétendre non-seulement à un noble, mais encore à un riche propriétaire. Il fallut céder, car l’ancienne inclination de madame Blutty se réveilla avec une intensité nouvelle en retrouvant son jeune écolier si grand et si perfectionné. Louise hésita ; Valentin, partagé entre son amour et sa fierté, se laissa pourtant convaincre par les brûlants regards de la belle veuve. Athénaïs devint sa femme.

Elle ne put pas résister à la démangeaison de se faire annoncer