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de la ferme, que celui de mademoiselle Louise.

Elle tendit une main affectueuse à madame Lhéry, baisa sa fille au front, et adressa un sourire d’amitié au jeune homme.

— Eh bien ! lui dit le père Lhéry, avez-vous été vous promener bien loin ce matin, ma chère demoiselle ?

— En vérité, devinez jusqu’où j’ai osé aller ! répondit mademoiselle Louise en s’asseyant près de lui familièrement.

— Pas jusqu’au château, je pense ? dit vivement le neveu.

— Précisément jusqu’au château, Bénédict, répondit-elle.

— Quelle imprudence ! s’écria Athénaïs, qui oublia un instant de crêper les boucles de ses cheveux pour s’approcher avec curiosité.

— Pourquoi ? répliqua Louise ; ne m’avez-vous pas dit que tous les domestiques étaient renouvelés sauf la pauvre nourrice ? Et bien certainement, si j’eusse rencontré celle-là, elle ne m’eût pas trahie.

— Mais enfin vous pouviez rencontrer madame…

— À six heures du matin ? madame est dans son lit jusqu’à midi.

— Vous vous êtes donc levée avant le jour ? dit Bénédict. Il m’a semblé en effet vous entendre ouvrir la porte du jardin.

— Mais mademoiselle ! dit madame Lhéry, on la dit fort matinale, fort active. Si vous l’eussiez rencontrée, celle-là ?

— Ah ! que je l’aurais voulu ! dit Louise avec chaleur ; je n’aurai pas de repos que je n’aie vu ses traits, entendu le son de sa voix… Vous la connaissez ; vous, Athénaïs ; dites-moi donc encore qu’elle est jolie, qu’elle est bonne, qu’elle ressemble à son père…

— Il y a quelqu’un ici à qui elle ressemble bien davantage, dit Athénaïs en regardant Louise ; c’est dire qu’elle est bonne et jolie !

La figure de Bénédict s’éclaircit, et ses regards se portèrent avec bienveillance sur sa fiancée.

— Mais écoutez, dit Athénaïs à Louise, si vous voulez tant voir mademoiselle Valentine, il faut venir à la fête avec nous ; vous vous tiendrez cachée dans la maison de notre cousine Simone, sur la place, et de là vous verrez certainement ces dames ; car mademoiselle Valentine m’a assuré qu’elles y viendraient.

— Ma chère belle, cela est impossible, répondit Louise ; je ne descendrais pas de la carriole sans être reconnue ou devinée. D’ailleurs, il n’y a qu’une personne de cette famille que je désire voir ; la présence des autres gâterait le plaisir que je m’en promets. Mais c’est assez parler de mes projets, parlons des vôtres, Athénaïs. Il me semble que vous voulez écraser tout le pays par un tel luxe de fraîcheur et de beauté !

La jeune fermière rougit de plaisir, et embrassa Louise avec une vivacité qui prouvait assez la satisfaction naïve qu’elle éprouvait d’être admirée.

— Je vais chercher mon chapeau, dit-elle ; vous m’aiderez à le poser, n’est-ce pas ?

Et elle monta vivement un escalier de bois qui conduisait à sa chambre.

Pendant ce temps, la mère Lhéry sortit par une autre porte pour aller changer de costume ; son mari prit une fourche et alla donner ses instructions au bouvier pour le régime de la journée.

Alors, Bénédict, resté seul avec Louise, se rapprocha d’elle, et parlant à demi-voix :

— Vous gâtez Athénaïs comme les autres ! lui dit-il. Vous êtes la seule ici qui auriez le droit de lui adresser quelques observations, et vous ne daignez pas le faire…

— Qu’avez-vous donc encore à reprocher à cette pauvre enfant ? répondit Louise étonnée. Ô Bénédict ! vous êtes bien difficile !

— Voilà ce qu’ils me disent tous, et vous aussi, Madame, vous qui pourriez si bien comprendre ce que je souffre du caractère et des ridicules de cette jeune personne !

— Des ridicules ? répéta Louise. Est-ce que vous ne seriez pas amoureux d’elle ?

Bénédict ne répondit rien, et après un instant de trouble et de silence :

— Convenez, lui dit-il, que sa toilette est extravagante aujourd’hui. Aller danser au soleil et à la poussière avec une robe de bal, des