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un peu haute, c’est une famille de braves gens. Peut-on voir une meilleure femme que la grand’mère !

— Ah ! celle-là, dit Athénaïs, c’est encore la meilleure de toutes. Elle a toujours quelque chose d’agréable à vous dire ; elle ne vous appelle jamais que mon cœur, ma toute belle, mon joli minois.

— Et cela fait toujours plaisir ! dit Bénédict d’un air moqueur. Allons, allons, cela joint aux mille écus de profit sur la ferme, qui peuvent payer bien des chiffons…

— Eh ! ce n’est pas à dédaigner, n’est-ce pas, mon garçon ? dit le père Lhéry. Dis-lui donc cela, toi ; elle t’écoutera.

— Non, non, je n’écouterai rien, s’écria la jeune fille. Je ne vous laisserai pas tranquille que vous n’ayez laissé la ferme. Votre bail expire dans six mois ; il ne faut pas le renouveler, entends-tu, mon papa ?

— Mais qu’est-ce que je ferai ? dit le vieillard ébranlé par le ton à la fois patelin et impératif de sa fille. Il faudra donc que je me croise les bras ? Je ne peux pas m’amuser comme toi à lire et à chanter, moi ; l’ennui me tuera.

— Mais, mon papa, n’avez-vous pas vos biens à faire valoir ?

— Tout cela marchait si bien de front ! il ne me restera pas de quoi m’occuper. Et d’ailleurs où demeurerons-nous ? Tu ne veux pas habiter avec les métayers ?

— Non certes ! vous ferez bâtir ; nous aurons une maison à nous ; nous la ferons décorer autrement que cette vilaine ferme ; vous verrez comme je m’y entends !

— Oui, sans doute, tu t’entends fort bien à manger de l’argent, répondit le père.

Athénaïs prit un air boudeur.

— Au reste, dit-elle d’un ton dépité, faites comme il vous plaira ; vous vous repentirez peut-être de ne pas m’avoir écoutée ; mais il ne sera plus temps.

— Que voulez-vous dire ? demanda Bénédict.

— Je veux dire, reprit-elle, que quand madame de Raimbault saura quelle est la personne que nous avons reçue à la ferme et que nous logeons depuis trois semaines, elle sera furieuse contre nous, et nous congédiera dès la fin du bail avec toutes sortes de chicanes et de mauvais procédés. Ne vaudrait-il pas mieux avoir pour nous les honneurs de la guerre et nous retirer avant qu’on nous chasse  ?

Cette réflexion parut faire impression sur les Lhéry. Ils gardèrent le silence, et Bénédict, à qui les discours d’Athénaïs déplaisaient de plus en plus, n’hésita pas à prendre en mauvaise part sa dernière objection.

— Est-ce à dire, reprit-il, que vous faites un reproche à vos parents d’avoir accueilli madame Louise  ?

Athénaïs tressaillit, regarda Bénédict avec surprise, le visage animé par la colère et le chagrin. Puis elle pâlit et fondit en larmes.

Bénédict la comprit et lui prit la main.

— Ah ! c’est affreux ! s’écria-t-elle d’une voix entrecoupée par les pleurs ; interpréter ainsi mes paroles ! moi qui aime madame Louise comme ma sœur !

— Allons ! allons ! c’est un malentendu ! dit le père Lhéry  ; embrassez-vous, et que tout soit dit.

Bénédict embrassa sa cousine, dont les belles couleurs reparurent aussitôt.

— Allons, enfant ! essuie tes larmes, dit madame Lhéry, voici que nous arrivons ; ne va pas te montrer avec tes yeux rouges ; voilà déjà du monde qui te cherche.

En effet le son des vielles et des cornemuses se faisait entendre, et plusieurs jeunes gens en embuscade sur la route, attendaient l’arrivée des demoiselles pour les inviter à danser les premiers.





IV


C’étaient des garçons de la même classe que Bénédict, sauf la supériorité de l’éducation qu’il avait sur eux, et dont ils étaient plus portés à lui faire un reproche qu’un avantage. Plusieurs d’entre eux n’étaient pas sans prétentions à la main d’Athénaïs.

— Bonne prise ! s’écria celui qui était monté sur un tertre pour découvrir l’arrivée des voitures ; c’est mademoiselle Lhéry, la beauté de la Vallée-Noire.

— Doucement, Simonneau ! celle-là me revient ; je lui fais la cour depuis un an. Par droit d’ancienneté, s’il vous plaît !

Celui qui parla ainsi était un grand et robuste garçon à l’œil noir, au teint cuivré, aux larges épaules ; c’était le fils du plus riche marchand de bœufs du pays.

— C’est fort bien, Pierre Blutty, dit le premier, mais son futur est avec elle.

— Comment ? son futur ! s’écrièrent tous les autres.

— Sans doute ; le cousin Bénédict.

— Ah ! Bénédict l’avocat, le beau parleur, le savant !

— Oh ! le père Lhéry lui donnera assez d’écus pour en faire quelque chose de bon.

— Il l’épouse ?

— Il l’épouse.

— Oh ! ce n’est pas fait !

— Les parents veulent, la fille veut ; ce serait bien le diable si le garçon ne voulait pas.

— Il ne faut pas souffrir cela, vous autres, s’écria Georges Moret. Eh bien, oui ! nous aurions là un joli voisin ! Ce serait pour le coup qu’il se donnerait de grands airs, ce cracheur