Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/39

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

du visage de sa sœur pour la bien voir, et l’ayant contemplée avec ravissement :

— Mon Dieu ! s’écria-t-elle avec enthousiasme en s’adressant à Bénédict, voyez donc comme est belle, ma Valentine !

Valentine rougit, et Bénédict plus qu’elle encore. Louise était trop livrée à sa joie pour deviner leur embarras. Elle la couvrit de caresses ; et quand Bénédict voulut l’arracher de ses bras, elle accabla ce dernier de reproches. Mais, passant subitement à un sentiment plus juste, elle se jeta avec effusion au cou de son jeune ami, en lui disant que tout son sang ne paierait pas le bonheur qu’il venait de lui donner.

— Pour votre récompense, ajouta-t-elle, je vais la prier de faire comme moi ; veux-tu, Valentine, donner aussi un baiser de sœur à ce pauvre Bénédict, qui, se trouvant seul avec toi, s’est souvenu de Louise ?

— Mais, dit Valentine en rougissant, ce sera donc pour la seconde fois aujourd’hui ?

— Et pour la dernière de ma vie, dit Bénédict en ployant un genou devant la jeune comtesse. Que celui-ci efface toute la souffrance que j’ai partagée en obtenant le premier malgré vous.

La belle Valentine reprit sa sérénité ; mais, avec une noble pudeur sur le front, elle leva les yeux au ciel.

— Dieu m’est témoin, dit-elle, que du fond de mon âme je vous donne cette marque de la plus pure estime ; et, se penchant vers le jeune homme, elle déposa légèrement sur son front un baiser qu’il n’osa pas même lui rendre sur la main. Il se releva pénétré d’un indicible sentiment de respect et d’orgueil. Il n’avait pas connu de recueillement si suave, d’émotion si douce, depuis le jour où, jeune villageois crédule et pieux, il avait fait sa première communion, dans un beau jour de printemps, au parfum de l’encens et des fleurs effeuillées.

Ils retournèrent par le chemin d’où ils étaient venus, et cette fois Bénédict se sentit entièrement calme auprès de Valentine. Ce baiser avait formé entre eux un lien sacré de fraternité. Ils s’établirent dans une confiance réciproque, et, lorsqu’ils se quittèrent à l’entrée du parc, Bénédict promit d’aller bientôt porter à Raimbault des nouvelles de Louise.

— J’ose à peine vous en prier, répondit Valentine, et pourtant je le désire bien vivement. Mais ma mère est si sévère dans ses préjugés !

— Je saurai braver toutes les humiliations pour vous servir, répondit Bénédict, et je me flatte de savoir m’exposer sans compromettre personne.

Il la salua profondément et disparut.

Valentine rentra par l’allée la plus sombre du parc ; mais elle aperçut bientôt à travers le feuillage, sous ces longues galeries de verdure, la lueur et le mouvement des flambeaux. Elle trouva toute la maison en émoi, et sa mère, qui pressait les mains du cocher, brutalisait le valet de chambre, se faisait humble avec les uns, se laissait aller à la fureur avec les autres, pleurait comme une mère, puis commandait en reine, et, pour la première fois de sa vie peut-être, semblait par intervalles appeler la pitié d’autrui à son secours. Mais dès qu’elle reconnut le pas du cheval qui lui ramenait Valentine, au lieu de se livrer à la joie, elle céda à sa colère longtemps comprimée par l’inquiétude. Sa fille ne trouva dans ses yeux que le ressentiment d’avoir souffert.

— D’où venez-vous ? lui cria-t-elle d’une voix forte, en la tirant de sa selle avec une violence qui faillit la faire tomber. Vous jouez-vous de mes tourments ? Pensez-vous que le moment soit bien choisi pour rêver à la lune et vous oublier dans les chemins ? À l’heure qu’il est, et lorsque, pour me prêter à vos caprices, je suis brisée de fatigue, croyez-vous qu’il soit convenable de vous faire attendre ? Est-ce ainsi que vous respectez votre mère, si vous ne la chérissez pas ?

Elle la conduisit ainsi jusqu’au salon en l’accablant des reproches les plus aigres et des accusations les plus dures. Valentine bégaya quelques mots pour sa défense, et fut dispensée de la présence d’esprit qu’elle aurait été forcée d’apporter à des explications qu’heureusement on ne lui demanda pas. Elle trouva au salon sa grand’mère, qui prenait du thé, et qui, lui tendant les bras, s’écria :

— Ah ! te voilà, ma petite ! Mais sais-tu que tu as donné bien de l’inquiétude à ta mère ? Pour moi, je savais bien qu’il ne pouvait t’être rien arrivé de fâcheux dans ce pays-ci, où tout le monde révère le nom que tu portes. Allons, embrasse-moi, et que tout soit oublié. Puisque te voilà retrouvée, je vais manger de meilleur appétit. Cette course en calèche m’a donné une faim d’enfer.

En parlant ainsi, la vieille marquise, qui avait encore de fort bonnes dents, mordit dans un tost à l’anglaise que sa demoiselle de compagnie lui préparait. Le soin minutieux qu’elle y apportait prouvait l’importance que sa maîtresse attachait à l’assaisonnement de ce mets. Quant à la comtesse, chez qui l’orgueil et la violence étaient au moins les vices d’une âme impressionnable, cédant à la force de ses sensations, elle se laissa tomber à demi évanouie sur un fauteuil.

Valentine se jeta à ses genoux, aida à la délacer, couvrit ses mains de larmes et de