Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/43

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— Un instant ! dit Bénédict. Il faudra vous rappeler que, grâce à mon goût pour la chasse et à la morale bien connue de ma famille, ce bon chevalier nous témoigne à tous une amitié vraiment extraordinaire, et que quiconque aurait le malheur de me déplaire ou de rendre un mauvais office à quelqu’un des miens ne pourrirait pas sur le seuil de sa maison.

Le ton dont ces paroles furent prononcées les rendit très-intelligibles pour Joseph. Il rentra au château, rassura complètement la comtesse, eut l’adresse de se faire donner les cent francs de gratification pour son zèle et ses peines, et sauva Valentine de l’interrogatoire terrible que sa mère lui réservait. Huit jours après il entra au service du chevalier de Trigaud, qu’il ne vola pas (il avait trop d’esprit et son maître était trop bête pour qu’il s’en donnât la peine), mais qu’il pilla comme un pays conquis.

Dans son désir de ne pas manquer une si excellente aubaine, il avait poussé l’adresse et le dévouement aux intentions de Bénédict jusqu’à donner de faux renseignements à la comtesse sur la résidence de Louise. En trois jours il lui avait improvisé un voyage et un départ dont madame de Raimbault avait été la dupe. Il avait réussi encore à ne pas perdre sa confiance en quittant son service. Il s’était fait octroyer de bon gré la permission de changer de maître, et madame de Raimbault ne pensa bientôt plus à lui ni à ses révélations antérieures. La marquise, qui aimait Louise plus peut-être qu’elle n’avait aimé personne, questionna Valentine. Mais celle-ci connaissait trop le caractère faible et la légèreté de sa grand’mère pour confier à son impuissante affection un secret de si haute importance. M. de Lansac était parti, les trois femmes étaient fixées à Raimbault, où le mariage devait se conclure dans un mois. Louise, qui ne se fiait peut-être pas autant que Valentine aux bonnes intentions de M. de Lansac, résolut de mettre à profit ce temps, où elle était à peu près libre, pour la voir souvent ; et trois jours après la Journée du premier mai, Bénédict, chargé d’une lettre, se présenta au château.

Hautain et fier, il n’avait jamais voulu s’y présenter pour traiter d’aucune affaire au nom de son oncle ; mais pour Louise, pour Valentine, pour ces deux femmes qu’il ne savait comment qualifier dans son affection, il se faisait une sorte de gloire d’aller affronter les regards dédaigneux de la comtesse et les affabilités insolentes de la marquise. Il profita d’un jour chaud qui devait confiner Valentine chez elle, et, s’étant muni d’une carnassière bien remplie de gibier, ayant pris pour vêtement une blouse, un chapeau de paille et des guêtres, il partit ainsi équipé en chasseur villageois, certain que ce costume choquerait moins les yeux de la comtesse que ne le ferait un extérieur plus soigné.

Valentine écrivait dans sa chambre. Je ne sais quelle attente vague faisait trembler sa