Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/52

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vant la royauté, belle de cette beauté imposante et froide pour laquelle semblait avoir été choisi le costume du temps, prompte à s’instruire de l’étiquette, habile à s’y conformer, amoureuse de parures, de luxe, de pompes et de cérémonies, jamais elle n’avait pu concevoir les charmes de la vie intérieure ; jamais son cœur vide et altier n’avait goûté les douceurs de la famille. Louise avait déjà dix ans, elle était même très-développée pour son âge, lorsque madame de Raimbault devint sa belle-mère, et comprit avec effroi qu’avant cinq ans la fille de son mari serait pour elle une rivale. Elle la relégua donc avec sa grand’mère au château de Raimbault, et se promit de ne jamais la présenter dans le monde. Chaque fois qu’en la revoyant elle s’aperçut des progrès de sa beauté, sa froideur pour cette enfant se changea en aversion. Enfin, dès qu’elle put reprocher à cette malheureuse une faute que l’abandon où elle l’avait laissée rendait excusable peut-être, elle se livra à une haine implacable, et la chassa ignominieusement de chez elle. Quelques personnes dans le monde assuraient savoir la cause plus positive de cette inimitié. M. de Neuville, l’homme qui avait séduit Louise, et qui fut tué en duel par le père de cette infortunée, avait été en même temps, dit-on, l’amant de la comtesse et celui de sa belle-fille.

Avec l’Empire s’était évanouie toute la brillante existence de madame de Raimbault ; honneurs, fêtes, plaisirs, flatteries, représentation, tout avait disparu comme un songe, et elle s’éveilla un matin, oubliée et délaissée dans la France légitimiste. Plusieurs furent plus habiles, et, n’ayant pas perdu de temps pour saluer la nouvelle puissance, remontèrent au faîte des grandeurs ; mais la comtesse, qui n’avait jamais eu de présence d’esprit et chez qui les premières impressions étaient violentes, perdit absolument la tête. Elle laissa voir à celles qui avaient été ses compagnes et ses amies toute l’amertume de ses regrets, tout son mépris pour les têtes poudrées, toute son irrévérence pour la dévotion réédifiée. Ses amies accueillirent ces blasphèmes par des cris d’horreur ; elles lui tournèrent le dos comme à une hérétique, et répandirent leur indignation dans les cabinets de toilette, dans les appartements secrets de la famille royale, où elles étaient admises et où leurs voix disposaient des places et des fortunes.

Dans le système des compensations de la couronne, la comtesse de Raimbault fut oubliée ; il n’y eut pas pour elle la plus petite charge de dame d’atours. Forcée de renoncer à l’état de domesticité si cher aux courtisans, elle se retira dans ses terres, et se fit franchement bonapartiste. Le faubourg Saint-Germain, qu’elle avait vu jusqu’alors, rompit avec elle comme mal pensante. Les égaux, les parvenus lui restèrent, et elle les accepta faute de mieux ; mais elle les avait si fort méprisés dans sa prospérité, qu’elle ne trouva autour d’elle aucune affection solide pour la consoler de ses pertes.

À trente-cinq ans il lui avait fallu ouvrir les yeux sur le néant des choses humaines, et c’était un peu tard pour cette femme qui avait perdu sa jeunesse, sans la sentir passer, dans l’enivrement des joies puériles. Force lui fut de vieillir tout d’un coup. L’expérience ne l’ayant pas détachée de ses illusions une par une, comme cela arrive dans le cours des générations ordinaires, elle ne connut du déclin de l’âge que les regrets et la mauvaise humeur.

Depuis ce temps, sa vie fut un continuel supplice ; tout lui devint sujet d’envie et