Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

aux hommes doués de quelque puissance morale, les regards s’habituaient peu à peu aux défauts de sa figure pour n’en plus voir que les beautés ; car certaines laideurs sont dans ce cas, et celle de Bénédict particulièrement. Son teint blême et uni avait une apparence de calme qui inspirait comme un respect d’instinct pour cette âme dont aucune altération extérieure ne trahissait les mouvements. Ces yeux, où la prunelle pâle nageait dans un émail blanc et vitreux, avaient une expression vague et mystérieuse qui devait piquer la curiosité de tout observateur. Mais ils auraient désespéré toute la science de Lavater ; ils semblaient lire profondément dans ceux d’autrui, et leur immobilité était métallique quand ils avaient à se méfier d’un examen indiscret. Une femme n’en pouvait soutenir l’éclat quand elle était belle ; un ennemi n’y pouvait surprendre le secret d’aucune faiblesse. C’était un homme qu’on pouvait toujours regarder sans le trouver au-dessous de lui-même, un visage qui pouvait s’abandonner à la distraction, sans enlaidir comme la plupart des autres, une physionomie qui attirait comme l’aimant. Aucune femme ne le voyait avec indifférence, et si la bouche le dénigrait parfois, l’imagination n’en perdait pas aisément l’empreinte ; personne ne le rencontrait pour la première fois sans le suivre des yeux aussi longtemps que possible ; aucun artiste ne pouvait le voir sans en admirer la singularité et sans désirer la reproduire.

Lorsque Valentine le regarda, il était plongé dans une de ces rêveries profondes qui semblaient lui être familières. La teinte du feuillage qui l’abritait envoyait à son large front un reflet verdâtre ; et ses yeux fixés sur l’eau semblaient ne saisir aucun objet. Le fait est qu’ils saisissaient parfaitement l’image de Valentine réfléchie dans l’onde immobile. Il se plaisait à cette contemplation dont l’objet s’évanouissait chaque fois qu’une brise légère ridait la surface du miroir ; puis l’image gracieuse se reformait peu à peu, flottait d’abord incertaine et vague, et se fixait enfin belle et limpide sur la masse cristalline. Bénédict ne pensait pas ; il contemplait, il était heureux, et c’est dans ces moments-là qu’il était beau.

Valentine avait toujours entendu dire