Page:Sand - Valvèdre.djvu/184

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le charme en était si profond, qu’on l’admirait surtout après qu’elle avait passé. J’entendis faire des comparaisons, des réflexions plus ou moins niaises. Il me sembla qu’il s’y mêlait des suspicions sur sa conduite. J’eus envie de chercher prétexte à une querelle ; mais à Genève, si on est très-petite ville, on est généralement bon, et ma colère eût été ridicule.

Le soir, il y eut un petit bal composé d’environ cinquante personnes qui formaient la parenté et l’intimité des deux familles. Alida parut avec une toilette exquise, et, sur ma prière, elle dansa. Sa grâce indolente fit son effet magique ; on se pressa autour d’elle, les jeunes gens se la disputèrent et se montrèrent d’autant plus enfiévrés qu’elle paraissait moins se soucier d’aucun d’eux en particulier. J’avais espéré que la danse me permettrait de lui parler. Ce fut le contraire qui arriva, et à mon tour je pris de l’humeur contre elle. Je l’observai en boudant, très-disposé à lui chercher noise, si je surprenais la moindre nuance de coquetterie. Ce fut impossible : elle ne voulait plaire à personne ; mais elle sentait, elle savait qu’elle charmait tous les hommes, et il y avait dans son indifférence je ne sais quel air de souveraineté blasée, mais toujours absolue, qui m’irrita. Je trouvai qu’elle parlait à ces jeunes gens, non comme s’ils eussent eu des droits sur elle, mais comme si elle en avait eu sur eux, et c’était, à mon gré, leur faire trop d’honneur. Elle avait le grand aplomb des femmes du monde, et je crus retrouver, dans ses regards à des