Page:Sand - Valvèdre.djvu/23

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beaucoup depuis que je puis me passer mes fantaisies, et j’en suis puni par la diminution du sens fantaisiste. Oui, vrai, je me blase déjà. J’ai des jours où je ne sais plus que faire pour m’amuser. Voulez-vous venir dehors fumer un cigare ? Nous regarderons ce fameux mont Rose ; on dit que c’est si joli ! Je l’ai regardé hier tout le long du voyage ; je l’ai trouvé pareil à toutes les montagnes un peu élevées de la chaîne des Alpes ; mais peut-être que vous me le ferez trouver différent. Voyons, qu’est-ce qu’il y a de différent et qu’est-ce qu’il y a de beau selon vous ? Je ne demande qu’à admirer, moi ; je n’ai été élevé ni en poëte, ni en artiste ; mais j’aime le beau, et j’ai des yeux comme un autre.

Il y avait tant de naïveté dans le babil de ce Moserwald, que, tout en fumant dehors avec lui, je me laissai aller à la sotte vanité de lui expliquer la beauté du mont Rose. Il m’écouta avec son bel œil juif, clair et avide, fixé sur moi. Il eut l’air de comprendre et de goûter mon enthousiasme ; après quoi, il reprit tout à coup son air de bonhomie railleuse et me dit :

— Mon cher monsieur, vous aurez beau faire, vous ne réussirez pas à me prouver qu’il y ait le moindre plaisir à regarder cette grosse masse blanche. Il n’y a rien de bête comme le blanc, et c’est presque aussi triste que le noir. On dit que le soleil sème des diamants sur ces glaces : pour moi, je vous confesse que je n’en vois pas un seul, et je suis sûr d’en avoir plus