Page:Sand - Valvèdre.djvu/39

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m’endormant avec peine vers minuit, tandis qu’Obernay, couché à six heures du soir, se relevait pour se livrer aux observations scientifiques dont son ami lui avait confié le programme. Pourquoi Henri a-t-il paru si inquiet de moi ? Son œil exercé à lire dans les nuages a-t-il aperçu au delà de l’horizon les tempêtes qui me menacent ? Qui donc vais-je aimer ? Je ne connais aucune femme qui m’ait fait beaucoup songer, si ce n’est deux ou trois grandes artistes lyriques ou dramatiques auxquelles je n’ai jamais parlé et ne parlerai probablement jamais. J’ai eu la vie, sinon la plus calme, du moins la plus pure. J’ai senti en moi les forces de l’amour, et j’ai su les conserver entières pour un objet idéal que je n’ai pas encore rencontré.

Je rêvai, en dormant, à une femme que je n’avais jamais vue, que, selon toute apparence, je ne devais jamais voir, à madame de Valvèdre. Je l’aimai passionnément durant je ne sais combien d’années dont la vision ne dura peut-être pas une heure ; mais je m’éveillai surpris et fatigué de ce long drame dont je ne pus ressaisir aucun détail. Je chassai ce fantôme et me rendormis sur le côté gauche. J’étais agité. Le juif Moserwald m’apparut et m’offensa si cruellement, que je lui donnai un soufflet. Éveillé de nouveau, je retrouvai sur mes lèvres des mots confus qui n’avaient aucun sens. Dans mon troisième somme, je revis le même personnage, amical et railleur, sous la forme d’un oiseau fantastique énormément gras, qui s’enlevait lourdement de terre, et que je poursuivais