Page:Sand - Valvèdre.djvu/76

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clés, au lieu d’être en bandeaux comme aujourd’hui.

— Je ne m’en souviens pas, répondait Alida d’un ton qui signifiait : « Qu’est-ce que cela vous fait ? »

Il y eut un tel crescendo de froideur de sa part, que le pauvre juif, tout à fait décontenancé, quitta l’angle de la cheminée, où il se dandinait depuis un quart d’heure, et alla déranger et impatienter les fiancés botanistes en leur faisant de lourdes questions railleuses sur leurs saintes études de la nature. Je m’emparai de cette place que Moserwald avait accaparée : c’était la plus favorable pour voir Alida sans être gêné par la petite lampe dont elle s’était masquée ; c’était aussi la plus proche que l’on pût convenablement prendre auprès d’elle. Jusque-là, ne voulant pas m’asseoir plus loin, je n’avais fait que la deviner.

Je pus enfin lui parler. J’eus bien de la peine à lui adresser une question directe. Enfin ma langue se délia par un effort désespéré, et, au risque d’être aussi gauche et aussi bête que Moserwald, je lui demandai si j’étais assez malheureux pour que mon maudit hautbois eût réellement troublé son sommeil.

— Tellement troublé, répondit-elle en souriant tristement, que je n’ai pas pu me rendormir ; mais ne prenez pas ce reproche pour une critique. Il m’a semblé que vous jouiez fort bien : c’est précisément parce que j’étais forcée de vous écouter… Mais je ne veux pas non plus vous faire de compliments. À votre âge, cela ne vaut rien.

— À mon âge ? Oui, je suis un enfant, c’est vrai, rien