Page:Sand - Valvèdre.djvu/94

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— Vous m’avez fait du mal, dit-il, beaucoup de mal ; mais je ne vous en veux pas. J’ai mérité tout cela par mon manque d’esprit et d’éducation. Que voulez-vous ! je n’ai jamais fait la cour à une femme si haut placée, moi, et ce que j’imagine de plus artiste et de plus délicat est précisément ce qui l’offense le plus…, tandis que vous… avec rien, avec des airs et des paroles, vous qui ne la connaissez que d’hier et qui ne l’aimez certainement pas comme je l’aime, moi, depuis deux ans…, car il y a deux ans, oui, deux ans que j’en suis malade, que j’en deviens fou chaque fois que je la rencontre !… J’en perds l’esprit, entendez-vous, mon cher ? Et je vous le dis, à vous, mon rival, destiné à me supplanter parce que vous avez pour vous la musique du sentiment, et que les femmes les plus sensées se laissent endormir par cette musique-là… Cela ne les amuse pas toujours, mais cela flatte leur vanité quelquefois plus que les parures et que le bonheur. Eh bien, je le répète, je ne vous en veux pas. C’est votre droit, et, si vous m’en voulez de ce que j’ai fait, vous manquez d’esprit. Nous ne nous devons rien l’un à l’autre, n’est-ce pas ? nous n’avons donc pas de motifs pour nous haïr. Au fond, je vous aime, je ne sais pas pourquoi ; un instinct, un caprice d’esprit, peut-être une idée romanesque, parce que vous aimez la même femme que moi, et que nous devons nous retrouver plus d’une fois emboîtant le pas derrière elle. Qui sait ? nous serons peut-être éconduits tous deux, et peut-être aussi vous d’abord…, moi plus