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LEONE LEONI.



Je tuerai au moins cet homme-là répondit Leoni. (Page 30.)

Quand mes malles furent refermées, je demandai des chevaux de poste pour le soir même, et en attendant je me jetai sur un lit. J’étais si accablée de fatigue et tellement brisée par le désespoir, que j’éprouvai, en m’endormant, quelque chose qui ressemblait à la paix du tombeau.

Au bout d’une heure je fus réveillée par les embrassements passionnés de Leoni.

— C’est en vain que tu veux partir, me dit-il ; cela est au-dessus de mes forces. J’ai renvoyé tes chevaux, j’ai fait décharger tes malles. Je viens de me promener seul dans la campagne, et j’ai fait mon possible pour me forcer à te perdre. J’ai résolu de ne pas te dire adieu. J’ai été chez la princesse, j’ai tâché de me figurer que je l’aimais ; je la hais et je t’aime. Il faut que tu restes.

Ces émotions continuelles m’affaiblissaient l’âme autant que le corps ; je commençais à ne plus avoir la faculté de raisonner ; le mal et le bien, l’estime et le mépris devenaient pour moi des sons vagues, des mots que je ne voulais plus comprendre, et qui m’effrayaient comme des chiffres innombrables qu’on m’aurait dit de supputer. Leoni avait désormais sur moi plus qu’une force morale ; il avait une puissance magnétique à laquelle je ne pouvais plus me soustraire. Son regard, sa voix, ses larmes agissaient sur mes nerfs autant que sur mon cœur ; je n’étais plus qu’une machine qu’il poussait à son gré dans tous les sens.

Je lui pardonnai, je m’abandonnai à ses caresses, je lui promis tout ce qu’il voulut. Il me dit que la princesse Zagarolo, étant veuve, avait songé à l’épouser ; que le court et frivole engouement qu’il avait eu pour elle lui avait fait croire à son amour ; qu’elle s’était follement compromise pour lui, et qu’il était obligé de la ménager et de s’en détacher peu à peu, ou d’avoir affaire à toute la famille. — S’il ne s’agissait que de me battre avec tous ses frères, tous ses cousins et tous ses oncles, dit-il, je m’en soucierais fort peu ; mais ils agiront en grands seigneurs, me dénonceront comme carbonaro, et me feront jeter dans une prison, où j’attendrai peut-être dix ans qu’on veuille bien examiner ma cause.

J’écoutai tous ces contes absurdes avec la crédulité d’un enfant. Leoni ne s’était jamais occupé de politique ; mais j’aimais encore à me persuader que tout ce qu’il y avait de problématique dans son existence se rattachait