celle qui lui devait ses joies et ses délices ? Je l’ignorai longtemps : mais, étrange bizarrerie de ma destinée ! j’étais heureux, je me disais que l’amour de la gloire remplissait sa vie tout entière et qu’il n’y avait plus en elle de place pour les autres passions. Elle pleurait aux applaudissements d’une foule idolâtre, elle riait à une parole d’amour ; je n’avais donc pas de rival à craindre. Après le bonheur de l’aimer il n’y avait rien de plus enivrant que le bonheur d’être aimé d’elle, je n’y croyais pas, et, persuadé qu’elle dépensait tout son cœur dans ses chants, qu’elle le jetait tout entier sur la scène, je puisais dans l’activité qu’elle avait fait éclore en moi le sentiment exquis et pur d’une félicité sans mélange. Après vous avoir dit mes premières joies sur la terre, je ne vous parlerai ni du bruit que fit dans Vérone mon amour romanesque pour Gina ni des étranges commentaires que chacun hasarda sur mon compte. Le vulgaire ne comprendra jamais ce qui tranche hardiment avec le commun de la vie ; et, comme pour se venger de ne pouvoir comprendre, il s’en rit comme d’une sottise ou s’en étonne comme d’une folie.
» Cependant deux seigneurs étrangers, voyageant par manie et s’ennuyant partout, arri-