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le purgatoire

puisque nous en avons reçu à midi une ration pour deux tours complets d’horloge. Mais nous n’espérions pas une telle abondance de biens. La plupart d’entre nous n’ont pas su se limiter. Ils n’ont plus de pain. Et nous ne sommes pas des Bavarois pour avaler à pleine cuiller de la confiture toute sèche, si on peut dire. Elle reste donc à peu près intacte, sujet de mainte remarque ironique de la part de mon voisin de lit, avec qui je cause un peu.

Le lieutenant D*** a l’air très doux et sa physionomie franche, avec des yeux intelligents qui semblent sortir de la barbe brune, attire la sympathie. Il me confie que dans la vie civile il s’occupait d’économie politique et de littérature. Au front, il a fondé l’Écho des Boyaux, et il y a fait représenter une revue. Notre entretien tourne aux souvenirs de Paris. Nous parlons de nos amis et de nos camarades, des jeunes écrivains morts au champ d’honneur et des artistes tués à l’ennemi, de ceux que nous connaissions personnellement et de ceux que nous ne connaissons que par leurs ouvrages. Nous parlons de la littérature de 1914, et de la génération sacrifiée. Nous parlons de ceux que nous aimons et de ceux que nous admirons, de Montfort, de Viollis, des Marges… L’heure passe. Près de nous un officier, allongé sur sa couchette, lit les Trains de luxe d’Abel Hermant, le seul livre que possède la chambre. Dans un coin, quatre lieutenants jouent à la manille, avec des cartes qu’ils ont sauvées du désastre. La nuit vient. Il n’y a plus personne dans la cour. Les promeneurs sont rentrés. Dans peu de jours, nous mènerons l’existence qu’ils mènent.

Resterons-nous au camp de Mayence ? Rien n’est