Page:Sandre - Le purgatoire, 1924.djvu/115

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
103
le saloir de mayence

d’ailleurs eût été vaine. Il ne nous restait qu’à prendre en riant notre mésaventure. Le déjeuner s’en trouva égayé, d’autant que la tenue que nous avions tous prêtait à la plaisanterie. On ne voit pas tous les jours vingt-deux sous-lieutenants en caleçon réunis autour de la même table. Si la fantaisie règne dans les popotes d’officiers, elle ne va jamais jusqu’à ces excès de mardi-gras.

Le soldat boche, qui hurle en dirigeant nos ordonnances, mit fin au repas par un mot charmant, qu’il faut que je rapporte parce que, dans sa grossièreté, il offre un raccourci édifiant et caricatural, pour ainsi dire, de toute la tactique allemande en face des prisonniers. J’en ai déjà parlé. J’en parlerai encore. Donc, aujourd’hui nous achevions le dessert. Le plat de marmelade était vide.

— En voulez-vous d’autre ? nous demanda l’homme qui hurle, sur un ton moins aigre qu’à l’ordinaire et qui pouvait passer pour aimable.

— Oui, oui, fîmes-nous.

Et le brave Boche nous répondit froidement, en enlevant le plat :

— Il n’y en a plus. (Keine mehr).

Ces petits détails marquent dans la vie d’un prisonnier. Les heures sont lentes, les événements rares. On n’a que de menus faits à collectionner et à méditer. On les médite. La cristallisation se produit. Et tant de petites images se groupent à la fin en nous pour former un tableau d’ensemble qui nous surprend nous-mêmes. On a le temps de réfléchir en captivité.

Pendant que nous étions à table, un bruit de pas et