Anglais ne discute jamais avec un Allemand. C’est sa façon de réagir contre l’ennemi que ce mépris terrasse. Le Français a une autre façon ; il rit de tout et empoisonne le Boche de réclamations, de protestations et d’observations, à propos de tout et de rien, mais en ne sortant jamais des limites de la tenue militaire. Le Français évite de donner prise à la sévérité ennemie. Il se sent d’autant plus fort ensuite, quand il lui plaît de montrer aux Boches qu’il n’est dupe ni de leurs mensonges ni de leurs vilenies.
Ainsi pour la nourriture. L’Anglais ne va pas au réfectoire. Il abandonne sa ration aux Allemands. Le Français au contraire va ponctuellement au réfectoire, et pas un repas ne s’écoule sans qu’un prisonnier aille porter son assiette au haùptmann de service en lui affirmant sur l’honneur qu’on ne nourrit pas si mal des officiers désarmés. Si chaque officier allemand attaché à un camp de prisonniers faisait le compte des camouflets que ces terribles Français lui ont infligés, nous aurions un total assez coquet pour tous les camps réunis. Mais peut-être tous les officiers allemands ne sont-ils pas capables de distinguer un éloge d’un camouflet. Je n’oublierai pas de sitôt la scène que je vis lors de mon premier repas au réfectoire de Mayence. C’était à midi. On nous donna de la « soupe russe », car l’ardoise du menu ne la désignait pas moins pompeusement, et des pruneaux. Rien d’autre. Un lieutenant de dragons mit son assiette sous le nez du haùptmann en lui disant sans pouffer :
— Je vous demande la permission de quitter la salle, monsieur. Vraiment, j’ai trop bien mangé, ce matin.