Page:Sandre - Le purgatoire, 1924.djvu/172

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
160
le purgatoire

renbach, c’est pour le courrier qui nous arrivait de France. Il avait l’air alors, non plus d’un policier, mais d’un dégoûtant bonhomme qui, par le trou de la serrure, dans une chambre d’hôtel, épie le coucher de jeunes époux. Songez à la souffrance d’un officier français qui voit, entre les mains d’un officier boche, les lettres de sa fiancée, de sa femme, ou de sa maîtresse, qui voit le monstre se vautrer dans des tendresses qui ne sont pas à lui, qui voit le rustre violer le secret de deux cœurs ! Monsieur le Censeur avait des raffinements. Vous envoyait-on une mauvaise nouvelle capable de vous attrister ? Vous apprenait-on la mort d’un parent ou d’un ami ? Vite, monsieur le Censeur vous remettait l’enveloppe afin que vous pussiez pleurer plus tôt. En revanche, souvent, on gardait dans les tiroirs de la censure le courrier de plusieurs jours d’un même officier qu’on surveillait. On confrontait les différentes feuilles de papier. On cherchait si la quatrième page du 12 avril, si obscure, ne faisait pas suite à la troisième page du 11 avril. On rapprochait les textes. Et, quand on ne découvrait rien, pour plus de sûreté on supprimait froidement le tout.

Un jour, un lieutenant sut que son beau-père était décédé. Le matin même, un jeudi, nous avions remis à la kommandantur notre carte hebdomadaire. Le lieutenant alla frapper à la porte de monsieur le Censeur.

— Voulez-vous me rendre ma carte de ce matin ? dit-il. Mon beau-père étant mort, je désirerais ajouter quelques mots de condoléances pour ma femme.

Il ne demandait pas une faveur extraordinaire, ce