captifs voyaient des choses extraordinaires. Mais, pour en revenir aux officiers du Tsar, ils savaient qu’ils n’avaient rien à attendre des bontés du Petit-Père. Ils ne lui en gardaient pas moins une dévotion touchante et un dévouement complet. Je n’ai aucun renseignement sur leur conduite au moment de la Révolution. En 1916, ils haïssaient l’Allemagne autant que nous la haïssions nous-mêmes, et, s’ils n’affichaient pas des sympathies très chaudes pour l’Angleterre, ils ne cachaient pas en revanche leur amitié pour la France.
Rien de plus émouvant que leur camaraderie. Ils nous comprenaient mal, et nous ne les comprenions guère. Souvent, pour nous entendre, nous devions recourir à la langue allemande dont ils possédaient quelques bribes. L’intention suppléait à l’effet. Ils étaient les premiers à nous annoncer les bons communiqués, et il fallait accepter leurs félicitations immédiates à la kantine. On m’avait dit à Mayence que les Russes étaient d’incroyables ivrognes. Hélas, ils l’étaient. Ils ne buvaient pas pour le plaisir de boire : ils avaient toujours d’excellentes raisons de s’enivrer, mais ils en avaient trop, de ces excellentes raisons. Ils célébraient tout : la fête du tsar et la fête de la tsarine, la fête des principaux grands-ducs et celle des plus importantes grandes-duchesses. Ils buvaient quand la Russie remportait un succès ; ils buvaient quand les alliés étaient victorieux, cela pour manifester leur contentement ; mais, quand les alliés enregistraient un revers, ils buvaient aussi, pour oublier la fâcheuse nouvelle, et, quand la Russie encaissait une de ces raclées comme elle seule en encaissa pendant la guerre,