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le purgatoire

pas au bout de nos peines, le cuirassier nous dit sans aucun embarras :

— On vous demandera si vous avez mangé. Vous répondrez non.

Sa phrase est moins une prière qu’un ordre.

Comme nous passons devant l’église de Pillon, l’horloge sonne quatre coups. Je regarde ma montre : elle marque trois heures. S’est-elle arrêtée ? Non, il faut désormais que nous nous réglions sur l’heure allemande et que nous tenions compte d’une différence de cinquante minutes.

Les derniers kilomètres d’une étape paraissent toujours plus longs. Ceux-ci nous semblent interminables. L’arrêt que nous avons fait dans la cuisine de Pillon nous a cassé les jambes. Nous avons mal aux pieds, aux reins, aux épaules, sans parler des blessures du combat. On doit se raidir et se tendre de toute sa volonté pour marcher encore.

À la lisière d’un petit bois, nous rencontrons un cavalier en patrouille. Tout en passant, il nous dit :

— ’ten Abend (Bonsoir).

Il ne s’est peut-être même pas aperçu que nous sommes des prisonniers.

Enfin, car il faut bien que tout finisse, nous arrivons à Rouvrois. Nous avons tellement répété que nous n’en pouvions plus, que nous aurions besoin d’inventer une expression pour marquer à quel degré de fatigue nous atteignons. Ah ! se coucher ! s’allonger ! se reposer ! dormir ! dormir surtout, comme des brutes, après tant d’émotions et de surmenage. Est-ce que nous dormirons ? Est-ce vraiment ici qu’on nous