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de rouvrois à pierrepont

n’est-ce pas, puisque les Anglais font durer la guerre à plaisir ?

Notre homme n’en reste pas là. Nous l’écoutons. Nous n’avons rien d’autre à faire.

— La guerre est finie pour vous, dit-il. Vous serez bien en Allemagne, vous verrez. On a beaucoup d’égards chez nous pour les officiers prisonniers.

Cette considération personnelle ne nous émeut guère. La sentinelle reçoit cette réponse, qui exclut toute sentimentalité, que la certitude d’avoir la vie sauve ne suffit pas au bonheur d’un soldat français et que la captivité, même dorée, à supposer qu’elle le soit, ne vaut pas la satisfaction de souffrir à sa place dans la misère quotidienne de la tranchée.

C’est tout un drame qui se joue là, dans cette pauvre chambre de Rouvrois, entre un troupier allemand et des soldats de chez nous, un drame d’idées et de caractères qui reproduit en petit l’effroyable tragédie où, des deux races aux prises de la mer du Nord à la frontière suisse, l’une proclame le droit de vivre, et l’autre défend le droit de mourir. Le même malentendu se retrouve ici, car notre homme ne comprend rien à notre attitude, et le regard étonné dont il nous enveloppe signifie que décidément nous sommes de piètres individus, que nous ne serons jamais sérieux et qu’enfin nous sommes pitoyables.

La journée du 10 mars devait nous offrir, dès notre entrée chez l’ennemi, un raccourci d’à peu près tout ce que nous verrions par la suite. Sans plus tarder, nous allions connaître la profondeur du fossé qui sépare la France lumineuse et libre de l’Allemagne asservie et embrumée. D’un côté, des idées ; de l’autre,