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l’usine de pierrepont

nuit. » Un peu plus habitués que nous aux mensonges et aux ruses des Allemands, ils sourient de notre surprise. Nous avons l’impression que Pierrepont est un point de rassemblement des prisonniers de l’offensive de Verdun et que, si nos camarades attendent depuis trois jours, c’est que les prisonniers ne sont pas assez nombreux pour qu’on forme un train complet. S’il en est ainsi, puissions-nous attendre ici pendant six mois ! Mieux que les communiqués de la presse allemande, notre séjour nous renseignera sur le succès ou l’échec de l’attaque de Verdun.

Rien de plus sinistre que cette prison, vaste et froide, où, gardés par une douzaine de soldats allemands, quelques officiers français se racontent les derniers événements de leurs combats. La lumière qui entre ici est douteuse. Nos vêtements sont couverts de boue, des pansements d’un blanc éclatant soulignent le mauvais état de nos capotes. Nos chaussures ont des aspects épiques, et, quant aux objets de toilette, ils nous font totalement défaut. Mais il paraît qu’une kantine peut nous ravitailler, et Fritz est chargé de faire nos achats à cette kantine.

Fritz ne s’appelle probablement pas Fritz. Sans lui demander quel est son nom véritable, ni si celui-là lui convient, on l’a baptisé Fritz, et il répond. C’est un bonhomme falot, d’une quarantaine d’années, qui a toujours l’air de tomber de la lune. Il est coiffé de la calotte ronde sans visière. Il ne sait pas un traître mot de français. Mais nos réminiscences du collège suffisent pour qu’il nous entende. Il nous entend d’ailleurs à sa façon et ne se trompe jamais. Quand on lui commande une boîte de sardines, il nous apporte