et je suis obligé de fumer vigoureusement des cigarettes, pour éviter les haut-le-cœur. Si notre voyage doit être de longue durée, ce voisinage sera plaisant au possible.
Vers cinq heures, le train siffle : un officier allemand monte dans notre compartiment. C’est un lieutenant du service des étapes, qui nous accompagne comme chef de convoi. Le casque de cuir noir le grandit. Quand il l’enlève pour le remplacer par la casquette grise que lui tend le soldat aux pieds pourris, qui est son ordonnance, il a l’air doux. Châtain foncé, avec des yeux ternes, il porte la barbe en pointe, et il rappelle ainsi la physionomie populaire du tsar Nicolas II.
Nous sommes partis ; nous roulons vers notre destinée. Où allons-nous ? Le désir de le savoir ne nous tient peut-être pas beaucoup. Depuis dix-neuf mois de guerre, nous sommes habitués aux voyages dont on ignore le terme, et l’incertitude où nous sommes à présent de notre destination ne nous semble ni anormale, ni trop pénible. Tant d’événements en quarante-huit heures ! Sur quel paysage l’aurore de demain se lèvera-t-elle pour nous ? Nous pourrions poser la question au lieutenant qui nous emmène. Il nous répondrait peut-être, car il paraît vouloir causer avec nous. Mais à quoi bon ?
Nous roulons lentement, très lentement. Nous nous arrêtons souvent en pleine voie. De longs convois sanitaires nous dépassent. Ils sont bondés de blessés. La campagne est d’une tristesse mortelle. Le lieutenant du service des étapes se croit obligé de nous promettre que, plus loin, le train marchera à une allure