nous emplit le bol d’une espèce de soupe qui a toutes les apparences d’un cataplasme de farine de lin. Après quoi, chacun de nous s’assied où il veut. Cette soupe, qui n’est qu’un potage Kubb quelconque aggravé d’orge, est d’une fadeur sans pareille, et la cuiller, quand on l’y plonge, remue une mixture gluante à dégoûter l’estomac le plus solide. Étrange alimentation ! Est-ce pour des prisonniers qu’on a spécialement préparé cette horrible ratatouille ? Ou la sert-on aussi aux troupiers boches qui font halte à Cobern ? Le capitaine V***, qui a déjà voyagé en Allemagne, penche pour la seconde hypothèse. On a beau n’être pas difficile et l’on a beau s’attendre à toutes les brimades : mais on a le droit de ne pas se pâmer de satisfaction devant une nourriture semblable. Car on ne nous distribuera rien, après cette soupe, dans ce magnifique bâtiment de la « Restauration » de Cobern.
Comme on nous reconduit vers nos vagons, nous passons devant une petite kantine où je demande la permission de m’arrêter. Un soldat m’accompagne, baïonnette au canon, c’est indispensable. La vendeuse est une jeune femme brune en tablier blanc à bavette. Sa mise affecte une certaine coquetterie et son comptoir est orné avec une recherche de goût très touchante, sinon récompensée. Il est à peine cinq heures du matin, et cette jeune vendeuse, dont les cheveux bruns m’alarment, est aussi éveillée et plus avenante sans doute que vers midi telle marchande de journaux de telle gare de chez nous. Mais il est probable que l’Autorité veille en Allemagne à ce que ses serviteurs considèrent les clients comme des clients et non pas