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la jeunesse qui s’ennuie.

la tête, on s’évertue à tuer chez elles les mouvements spontanés de leur âme, le rire qui s’échappe de leur bouche, la passion de leurs intrépides jugements… On rabote à l’alignement tous ces adorables symptômes de vie et de jeunesse, sans se douter qu’on commet une manière de crime, qu’on mûrit et dessèche pour l’Ennui des cœurs sans doute pleins de sève et de flamme !

Avez-vous, parfois, rencontré dans un salon, une salle de spectacle, de réunion quelconque, la jeune personne qui, partout, s’ennuie, justement parce qu’on ne l’a pas accoutumée à ne s’intéresser à rien qui en valût la peine ?

Près d’elle, la conversation meurt, faute d’aliment ; le rire ne trouve pas d’écho, l’amitié se fige, l’air devient glacé, les contacts électriques sont interrompus. Entend-elle un artiste, c’est à peine si elle l’applaudit ; écoute-t-elle des vers ou de la musique, ils ne la touchent pas. Sa sensibilité ne s’émeut jamais, sa pitié pas davantage, le pittoresque des gens et des choses lui échappe, l’intérêt passionnant du travail sous toutes ses formes, de l’art sous tous ses aspects et des idées qui soulèvent notre bouillante machine ronde : tout, jusqu’à la grâce des enfants, la laisse indifférente.

Elle s’ennuie à périr ; mais elle vous ennuie bien davantage.