Page:Sardou - La haine.djvu/19

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garde à tel point, aujourd’hui même, sa vieille figure d’autrefois, que mes décors semblaient tout placés, et n’attendaient plus que l’entrée de mes personnages.

Et puis quelles mœurs ! — Des combats qui ressemblent à des fêtes. — Des fêtes qui ont l’air de combats ! — Des courses de chevaux héroïques d’audace… — Ce jeu des pugni, où toute la ville se dispute un ballon à coups de poing le matin, à coups de couteaux le soir ? — Une telle soif de bataille, que l’hiver, quand chôme la guerre civile, on se bat d’une tour à l’autre, avec des boules de neige ; et que les magistrats sont obligés d’intervenir, tant les femmes s’y passionnent !… On conçoit que chez ce peuple de batailleurs, je n’étais pas en peine de faire naître la querelle qui devait enfanter toute ma pièce. — La lutte de Guelfes à Gibelins entraînait facilement l’outrage, puis la vengeance, puis le pardon !… Mais là, je m’aperçus tout à coup que, croyant tout avoir, je n’avais plus rien… Et ce fut un beau moment de découragement et de peur !…

C’est qu’en effet, en s’élargissant, le cadre menaçait de faire craquer la toile. — La guerre civile prenait dans mon drame une telle importance, qu’elle commençait à le dominer de toute part. — Mon idée première, la charité de Cordelia, réduite aux simples proportions d’un acte de bonté personnelle, se noyait, inaperçue, dans cette grande lamentation d’une ville en furie ! — C’était bien du salut d’un homme qu’il s’agissait maintenant ! — Il y allait de celui de tout un