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LES FEMMES FORTES.

Elle m’écrase de sa supériorité ! Quand je me mariai, feu votre grand-père me dit en sortant de l’église : « Mon gendre, vous pouvez vous vanter d’avoir là une femme comme on en voit peu. Ce n’est pas ma Pulchérie qui perdrait son temps à broder ou à coudre ; elle ne sait faire oeuvre de ses dix doigts… rien !… n’attendez rien de Pulchérie ; mais c’est une femme d’esprit, une femme faite pour le commandement… une femme, enfin, à qui il n’a manqué que d’être un homme pour être parfaite. »

JENNY.

Mais qu’est-ce qu’elle fait tandis que tu vas au marché ?…

TOUPART.

Ce qu’elle fait !… Pulchérie ?… Mais elle travaille énormément… de tête… elle est toujours au fait de ce qui se passe… hors de chez elle… et elle est tellement au-dessus des petites choses, des détails vulgaires (Jenny et Gabrielle remontent en riant), des niaiseries du ménage, que j’en suis toujours à me demander comment le jour des noces elle ne m’a dit avec dédain : « Fi, monsieur Toupart, je suis au-dessus !… » (Se reprenant.) Qu’est-ce que je dis donc là, moi ! (Haut.) Où donc est mademoiselle Claire ?


Scène III

.

Les précédents, CLAIRE.
CLAIRE, portant des fleurs.

La voilà ! Bonjour, monsieur Toupart.

TOUPART.

Bonjour, mademoiselle : vous venez du jardin ?… (Il remonte vers son panier.)

CLAIRE.

Oui, vous voyez. Eh bien, Jenny… Gabrielle… et ce piano !… Mais, malheureuses enfants, c’est l’heure du piano !

GABRIELLE.

Je suis si mal disposée ce matin !… (Elle prend des mains de Claire deux bouquets, qu’elle va mettre dans les vases sur la cheminée.)

JENNY.

Et moi…

CLAIRE.

Ah ! que ce n’est pas bien, cela… de grandes filles qu’on laisse seules et qui se conduisent comme des enfants de six ans.